Broderie, ou "l'art d'appliquer à l'aiguille une décoration sur une étoffe tissée".

Panneau de chasuble brodé représentant la Circoncision, Italie vers 1520

Les origines de cet art millénaire sont oubliées. Des découvertes remontent à l'âge de bronze (1500 - 500 av. J.-C.) et à l'âge de fer (c. 500 -100 av. J.-C.), mais elles sont peu nombreuses. A partir des périodes anglo-saxonne (c. 400 - 1042 ap. J.-C.) et viking (c. 800 - 1050 ap. J.-C.), les exemples de broderies se font plus nombreux.
Les vêtements et les étoffes d'ameublement étaient essentiels au Moyen-Âge car "les tissus richement décorés, les soieries, les tapisseries étaient synonymes d'opulence et venaient immédiatement derrière les métaux précieux et les bijoux" . Ces étoffes richement brodées et tissées étaient un signe de puissance, elles indiquaient le rang social de celui qui en possédait et en portait, et elles étaient donc recherchées.
Pour rehausser la décoration de ces broderies, on les ornait de perles, camées, pierres précieuses et semi-précieuses, symboles de richesse. Des motifs en fil d'or étaient également ajoutés ; ils finirent par ne plus avoir qu'un rôle fonctionnel, celui de maintenir en place les différents ornements mentionnés ci-dessus.
Si la broderie semble avoir été la prérogative des classes dirigeantes les plus aisées, au moins au début du Moyen-Âge, elle a par ailleurs constitué un élément important de la splendeur ecclésiastique.
D'autre part, les ouvrages brodés faisaient également partie intégrante de la diplomatie internationale, constituant des cadeaux somptueux offerts aux rois, papes, princes et prélats.

Les créateurs

Si certains brodeurs créaient leurs propres dessins, en général ils essayaient tous de s'assurer les services des meilleurs artistes disponibles pour réaliser notamment les vêtements richement décorés, les tentures et les rideaux de lit. Les artistes travaillaient pour de riches commanditaires, appartenant à l'Église, à la noblesse ou aux classes dirigeantes. Ils réalisaient pour eux des fresques, des peintures sur bois. Il n'est donc pas surprenant que ces mécènes aient fait appel au même artiste pour leur dessiner des broderies. Pour le roi, les artistes peignaient des bannières héraldiques et des housses de chevaux, aussi bien pour les guerres que pour les joutes. A l'aide d'un pochoir, ils répétaient le même motif en or ou en argent sur de la soie fine afin de décorer les oriflammes, les housses de chevaux, les tentures murales et les rideaux de lit.
La production, en Italie et en Espagne, d'étoffes de soie décorées de motifs avait déjà commencé, mais l'application de motifs (héraldique, animaux, feuillage) au pochoir sur de la soie était plus rapide et moins coûteux.
Sur certains ouvrages où les points de broderie sont usés et les couleurs passées, on peut voir les fils de soie qui composent le fond qui témoignent du soin apporté par l'artiste au dessin préliminaire qui allait guider les brodeurs.
Au début du XVe siècle, le peintre florentin Cennino Cennini compose son Il libro dell'arte. Les procédés décrits dans les trois parties composant cet ouvrage étaient ceux utilisés au XIVe siècle. Différents sujets sont traités dans ce guide, comme par exemple "la difficulté d'appliquer la peinture et la feuille d'or sur la toile des bannières et tentures".
On y trouve aussi des consignes destinées aux artistes devant réaliser des dessins pour les brodeurs.
Un autre exemple du contenu du livre est celui concernant le velours. Vers la fin du XIIIe siècle, cette étoffe de soie la plus onéreuse devient plus facilement disponible. Ce fond de broderie, plus riche et plus brillant, était recherché par toute personne voulant faire preuve d'opulence et afficher son rang. Les poils du tissu rendaient la broderie difficile à réaliser. Cennini conseille de travailler sur du taffetas blanc, de le découper au motif voulu et de le faire appliquer sur le velours par le brodeur.

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L'ouvrage de broderie

Au début du Moyen-Âge, la broderie civile semble avoir été peu utilisée, à l'exception, sur le continent, des manteaux de sacre précieusement conservés au fil du temps. "A cette époque et au cours des siècles qui suivirent, les soieries richement tissées importées d'Espagne, d'Italie, du Proche-Orient et parfois de Chine, satisfaisaient les désirs de vêtements décorés".
A partir du début du XIVe siècle, l'augmentation des commandes royales entraîne la création d'ateliers particuliers pour répondre à la demande.
Des pièces conservées témoignent d'une pratique qui consistait à sceller les bords des étoffes de soie et de coton avec de la cire. On a retrouvé des traces de cire sur les bords vifs des motifs brodés, réalisés avant d'être découpés et appliqués sur l'ouvrage.
La cire permettait également de fixer la peinture sur les bannières et les fanions et d'imperméabiliser les toiles protégeant les vêtements royaux, la literie et les tentures murales pendant leur transport.
Au sujet de la réalisation des motifs de broderie, on a par exemple retrouvé dans un livre de comptes du XIVe siècle la mention de l'achat de six peaux de parchemins pour réaliser le patron des léopards destinés à une tunique d'armoiries où les léopards étaient ensuite brodés au fil d'or. On a également la mention de l'achat de grandes feuilles de papier pour la réalisation d'une housse de cheval décorée à la feuille d'or et d'argent.
Les commanditaires étaient souvent pressés. Une solution pour répondre au problème de la rapidité d'exécution était de répéter les motifs, procédé qui deviendra courant pour la broderie civile et plus tard pour la broderie liturgique. Pour faciliter la réalisation de motifs répétitifs, " on traçait d'abord le dessin sur le papier, on en piquait le contour de petits trous et on reportait le dessin sur la toile en faisant pénétrer de la craie en poudre par ces trous. Le papier enlevé, une série de petits points de craie indiquait le contour du motif sur lequel on repassait à l'encre ou à la peinture ; l'excès de poudre était ensuite enlevé en y soufflant dessus ".
La production de papier ne commença à augmenter qu'à partir du XIVe siècle. A l'époque où Cennini écrit, il était possible de se procurer, en Italie du moins, un papier blanc très fin qu'il conseille d'enduire d'huile de lin pour le rendre " transparent et bon ".
Il était également possible d'utiliser du parchemin soigneusement gratté pour le rendre transparent et de l'enduire d'huile de lin. Papiers et parchemins pouvaient parfois servir de fond à un motif de broderie, lui permettant ainsi de conserver sa forme pendant qu'il était brodé.
Les bobines de fil n'existaient apparemment pas mais on a retrouvé des fils de soie enroulés sur des bâtons.

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La technique

Au Moyen Age, dans les régions rurales où les conditions sociales étaient moins prospères et ambitieuses, la pratique de la broderie allait vers des formes moins raffinées, tandis que dans les villes, de riches commanditaires encourageaient le développement de techniques plus élaborées et raffinées.
La broderie, en tant qu'occupation familiale, était liée à l'aisance du ménage au Moyen-Âge. La majorité des femmes avaient peu de temps à y consacrer.
Rapidement, les brodeurs de métiers ne purent produire des ouvrages remarquablement exécutés que s'ils étaient commandités directement. Ils pouvaient ainsi couvrir les coûts des matériaux au fur et à mesure que l'ouvrage avançait, même si, dès le XIIIe siècle, les marchands étaient des intermédiaires anticipant la demande et facilitant la production.
Les églises étaient les premiers bénéficiaires de l'art de la broderie au Moyen-Âge.
Généralement, les commanditaires aimaient que leur nom figure sur la broderie, pour que chacun sache qui en était le donateur. Les broderies étaient même parfois rehaussées de motifs héraldiques sur la demande du commanditaire, pour rappeler la générosité et le rang social du donateur.

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Appliqué

Appliqué :

Il s'agit de coudre des pièces de tissu sur un fond contrastant. Ce procédé était notamment employé avec des étoffes bien apprêtées dont les bords ne s'effilochaient pas trop, ces bords étant cousus au point d'ourlet.
Avec des tissus comme de la soie ou du velours, la technique de l'appliqué était plus difficile à mettre en œuvre dans la mesure où les bords avaient tendance à s'effilocher ; pour remédier à ce problème on protégeait les bords avec des fils ou du cordonnet maintenus au point couché. On a par ailleurs retrouvé de la cire de bougie sur les bords de certaines pièces de tissu.
Ce procédé est appelé opus consutum - broderie appliquée.
Un autre procédé consistait à découper des motifs identiques dans des étoffes de couleurs contrastantes ensuite cousues ensemble. D'après certains documents, les tentures murales décoratives étaient réalisées de cette manière, avant que celles en tapisserie ne soient plus facilement disponibles.

Photo : la bannière des ducs de Savoie avec les armes de la famille Blonays, combination de l'appliqué et broderie, XIVs.

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Contour :

Broderie de Bayeux Pour créer un motif décoratif sur un fond en tissu, le procédé le plus courant consistait à broder une rangée de points avant, double point avant, point arrière ou de tige, pour créer un contour. C'est le point de tige qui a dominé au Moyen Age, convenant particulièrement aux tracés courbes.
On peut citer à titre d'exemple la broderie de Bayeux (ci-contre) où il est un des principaux points utilisés. Sur cette même broderie, les points fendus et de chaînette, convenant aussi aux tracés du contour, ont également été utilisés.
Pour ensuite remplir le contour ainsi dessiné, il convenait de remplir la forme au point lancé, en tendant les fils point par point pour en faire une nappe bien serrée. Ensuite on rajoute les barrettes, qui fixent le point lancé - piquées sous le point de tige et tendues perpendiculairement aux fils du point lancé, avec l'espace entre chaque barrette de 3 à 5 mm.
Ce point de remplissage est appellé point couché.

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Les fils comptés :

Broderie au point tiré Les couvents, les trésors d'église et les musées ont gardé des ouvrages réalisés au point de croix, aux fils comptés et aux fils tirés. La technique de ce type de broderie fait appel directement aux fils de trame et de chaîne de la toile. La broderie aux fils tirés est plus difficile à maîtriser : elle consiste à retirer certains fils de trame et de chaîne, les fils restant étant repris au moyen de certains points pour former un fond ajouré.
La broderie au point tiré est une catégorie de broderies blanches ajourées caractérisée par le retrait préalable d'un certain nombre de fils du tissu, dans le sens de la trame, de la chaîne ou dans les deux sens. Les jours peuvent former un fond léger autour d'un motif en broderie pleine, occuper tout le champ d'un ouvrage ou encore souligner géométriquement un motif aux lignes souples. Les procédés utilisés sont fort nombreux, allant des barrettes aux points de reprise ou de surjet formant réseau jusqu'au retissage au point de toile, en passant par la mise en réserve de surfaces de tissu au milieu d'ajourages savants ou le travail des fils restants aux points de surjet, de reprise, d'esprit, de feston ou de boutonnière.
Cette broderie ajourée est pratiquée un peu partout dans le monde et depuis des siècles : on la trouve déjà sur les textiles coptes. La technique des fils tirés dans un seul sens est la plus ancienne ; c'est l'antique punto tirato italien, nommé aussi point à jours. Souvent travaillée en rivière – pour broder un ourlet, par exemple -, elle fait appel à des points très variés. On l'utilise souvent dans le corps d'un ouvrage pour délimiter des surfaces brodées ou ajourées. Le prutik ukrainien fait partie de ces ouvrages à fils tirés dans un seul sens ; en Suède, dans la région de la Scanie principalement, on peut trouver sur un ouvrage un même motif géométrique traité tantôt en broderie ajourée, tantôt sous forme de dentelle à l'aiguille.
Plus tard sont apparus les ouvrages aux fils tirés dans les deux sens qui relèvent du punto tagliato. Au cours de la Renaissance italienne, le linge de corps, la chemise en particulier, est devenu de plus en plus visible ; c'est vers cette époque que la reticella a fait son apparition sur les cols et les manchettes blanches. On a aéré progressivement cette broderie en retirant de plus en plus de fils ; à partir du réseau (rete en italien) ainsi obtenu, on a tendu de nouveaux fils, puis on les a recouverts de points de boutonnière et de surjet.

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Point de brique

Le point de brique :

C'est une variante du point satiné. Des groupes de deux ou trois points sont réalisés côte à côte sur un même nombre de fils tissés. Ils permettent de remplir les zones de couleurs ou créent des motifs à l'intérieur de ces zones ; on pouvait ainsi créer des motifs sur l'ensemble du fond de la toile. Ce point convenait en particulier aux coussins à motifs répétés.

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Le matelassé :

Très peu de pièces en matelassé sont parvenues jusqu'à nous. Depuis longtemps déjà la laine brute ou le coton étaient utilisés entre deux pièces de toile pour créer une doublure de protection qui se portait sous la cotte de mailles ou l'armure.
Pour maintenir ensemble les épaisseurs, on cousait quelques points à la verticale, à l'horizontale ou en diagonale.
Dès le XIIIe siècle au moins, ce type de vêtement était fabriqué par le tailleur et l'armurier de toile dans les grandes villes comme Paris et Londres. L'hypothèse a été émise que cette technique venait d'Inde ou du Proche-Orient, mais on ignore à partir de quand les points les plus décoratifs et compliqués furent introduits en Europe.

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Le point couché :

Point couche, broderie de Bayeux Les fils sont disposés sur le fond, en lignes parallèles, et maintenus en place par des points, de manière à former des blocs entiers de couleur. Cette technique était très courante au Moyen-Âge, très employée pour la broderie en laine dans le Saint Empire. Ce point permettait d'économiser le fil d'or, très coûteux et fragile à broder.

Fils de laine et de soie :
La technique du point couché a été trouvée sur un fragment de laine du 1er siècle avant J.-C., dans le nord de la Mongolie. A la fin du XIe siècle, elle était déjà employée depuis longtemps.
Deux méthodes étaient employées pour coucher les fils :
-  soit en couchant les fils composant le fond et en les maintenant au point lancé perpendiculairement à eux et largement espacés. C'est par exemple le cas de la broderie de Bayeux, qui témoigne du grand niveau de maîtrise de cette technique.
-  soit en couchant les fils à mesure qu'on réalisait le fond, rangée par rangée.

Fils d'or :
Ils étaient également couchés selon les deux méthodes décrites ci-dessus. Comme ce fil était très onéreux, l'utilisation la plus économique consistait à poser le fil sur le fond et à le maintenir en place par de petits points en fil de soie. Ces petits points sont peu à peu devenus un élément décoratif, formant des chevrons, des fonds damassés ou d'autres motifs.

Pour donner du relief à ces broderies, des fils de coton épais étaient placés sous les fils d'or couchés.
Au XVe siècle, on trouve le procédé de "l'or nué" : des fils de couleur étaient utilisés pour maintenir les fils d'or couchés, ces points formant des tâches de couleurs par dessus les fils d'or, donnant ainsi l'impression d'une peinture à l'aiguille.

Le point couché retiré :

Son usage fut très répandu tout au long du Moyen-Âge mais il fut remplacé par le point couché, plus simple.
Le fil, d'or généralement mais parfois d'argent ou de soie, était posé sur l'endroit du fond et maintenu en place par une boucle de fil de lin ramené de l'envers de l'ouvrage. Ce fil de lin, en pénétrant l'étoffe, prenait avec lui une boucle minuscule du fil d'or qui le camouflait tout en étant fermement maintenu par ce fil de lin.

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L'enrichissement des broderies :

Manteau de sacre Les broderies médiévales étaient rehaussées de perles et de pierres précieuses et semi-précieuses, d'ornements en or, argent, d'émaux. Parfois de perles (décoration très populaire au Moyen-Âge, surtout les toutes petites) ou de paillettes de verre.
Ces symboles témoignaient et marquaient le rang social et la richesse et étaient présents dans l'Eglise, les cours royales et la noblesse ; "Associées aux soieries et velours aux dessins remarquables, l'effet devait vraiment être somptueux et impressionnant".
Ces broderies somptueuses étaient par ailleurs souvent offertes par de riches commanditaires à la recherche de faveurs ou d'influences.
A la fin du Moyen-Âge, le goût pour les ornements qui faisaient miroiter la lumière sur les vêtements et les harnois était très marqué. Un jeu de chatoiement était alors créé par chaque mouvement.

Photo : manteau de couronnement de Roger II , roi de Sicile, 1095 - 1154.

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A lire et sources :

Kay Staniland, Les Brodeurs, Editions The British Museum Press, 1994
Autour du Fil, l'encyclopédie des arts textiles, Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 10.