La chemise au Bas Moyen-Age -première partie : femmes, travail et enfants-
Par Tina Anderlini, Docteur en Histoire de l'Art
A partir du XIIIe siècle, nous avons souvent eu l'occasion de croiser des paysans en chemise
lors de leurs travaux. Si à cette époque il semble que seuls les hommes n'ont pas trop de honte à se
montrer en robe-linge, pour reprendre l'appellation médiévale de ce vêtement1, on peut trouver dans
des enluminures du XIVe siècle des femmes en petite tenue, comme nous l'avons constaté avec la
paysanne aux champs du Tacuinum Sanitatis. Il convient néanmoins de dire que les femmes
uniquement vêtues de leur chemise aux champs sont rarissimes, la norme étant quelque peu
différente, comme nous allons le voir avec un exemple très célèbre.
Les paysannes du Duc de Berry.
Parmi les plus fameuses représentations de paysannes de la fin du Moyen Age, nous nous
devons bien évidemment de nous attarder sur le calendrier des Très Riches Heures du Duc de
Berry.
Les mois de Février, Juin et Juillet sont les plus pertinents pour notre étude. Si les paysans
de Février sont principalement en train de se réchauffer auprès du feu, les femmes montrant le bas
de leurs chemises, ceux de Juin et Juillet sont en plein travail.
Comme cela était le cas au Palazzo Pubblico de Sienne, les hommes de Juin et Juillet sont
en chemise. Nous retrouvons ces chemises plus courtes et fendues sur les côtés déjà signalées à
Sienne. Là aussi, nous notons les cols en V. L'enluminure qui retient le plus notre attention est
évidemment celle du mois de Juin, et ses deux jeunes paysannes. Tout comme leurs compagnons,
elles sont jambes nues, le peintre montrant ainsi la chaleur du mois de Juin. Mais, contrairement
aux hommes, elles gardent leurs jambes couvertes. Néanmoins, celle de droite n'a pas hésité à
remonter sa cotte aux genoux et à la coincer dans sa ceinture afin de se rafraîchir quelque peu. On
voit ainsi une chemise descendant jusqu'aux mollets, mais légèrement remontée elle aussi sur
l'avant, comme en témoigne la longueur arrière. Si la paysanne de gauche a elle aussi remonté sa
cotte, ce qui se devine par l'effet blousé à la taille, elle n'a cependant pas osé dévoiler la partie
inférieure de sa chemise. En revanche, les deux jeunes femmes ont retiré les manches de leurs robes
respectives, un autre moyen pour le peintre anonyme3 de figurer la chaleur. Les manches des
chemises, légèrement retroussées, sont alors visibles. Les cottes à manches courtes, voire sans
manches, sont relativement courantes au XVe siècle dans l'art flamand, augmentant ainsi
l'interaction entre les deux couches de vêtements. Elles sont généralement agrémentées de manches
amovibles. Il semble que ces robes à manches courtes soient souvent des surcots pour les femmes
de condition supérieure à nos paysannes, ou sont portées sous des surcots à manches longues4. Pour
Margaret Scott, les manches amovibles portées directement sur les sous-vêtements seraient un signe
de petite vertu5. On ne peut que constater qu'en effet la plus célèbre femme portant ce type de
1 Associé pour les hommes aux braies, comme nous l'avons vu dans le tout premier article de cette série.
2 Chantilly, Musée Condé, Ms 65. Inachevé en 1416. Complété par un artiste anonyme vers 1440, et achevé par Jean
Colombe à la fin du siècle.
3 Il s'agit peut-être, pour le mois de Juin, de Barthélémy d'Eyck. Ce même mois aurait déjà été commencé en 1416.
4 Voir par exemple la Bethsabée au bain des Heures d'Anne de France (Anne de Beaujeu), Bourges, vers 1473,
Pierpont Morgan Library, New York. MS M.677 fol. 211r. Son surcot à manches longues est posé sur le sol à ses
côtés.
Il convient cependant de signaler que l'une des Muses de la Consolation Philosophique de Boèce porte elle aussi
cette tenue à manches courtes, sur ce qui semble être une chemise. Bourges, vers 1465, Pierpont Morgan Library,
New York. MS M.222 fol. 4r.
5 Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, p. 49.
vêtement, avec manches épinglées, est Marie Madeleine, dans des tableaux de Van der Weyden.
Néanmoins, ceci mérite d'être confronté à d'autres exemples.
Les Très Riches Heures du Duc de Berry ont eu une histoire complexe. Le mois de Juin est
considéré comme ayant été repris plusieurs fois, par des artistes différents. Ceci est gênant en ce qui
concerne la datation des différents phénomènes y figurant, en particuliers les larges encolures et le
laçage sur l'avant de la robe de droite. L'encolure large est apparue, dans les couches supérieures de
la société, au XIVe siècle. D'abord scandaleuse, elle finit par se généraliser, pouvant être atténuée
par un fichu. Les robes des paysannes de Février, enluminure considérée comme plus ancienne pour
la majorité de sa réalisation sont de ce type. On peut donc envisager que dès la seconde décennie du
XVe siècle la robe décolletée était relativement courante dans certaines parties de l'Europe et pour
tous les statuts. Il faut cependant préciser qu'aucune des encolures des Très Riches Heures du Duc
de Berry ne présente une chemise dépassant. Les règles de pudeur du siècle précédent sont encore
valables à ce moment. Les peintures flamandes un peu plus tardives, à partir de 1430-1435,
montrent, elles, des chemises dépassant parfois de l'encolure. Qu'il soit total ou partiel, ce
dépassement reste minime. De l'ordre de un ou deux centimètres, tout au plus.
La cotte lacée sur l'avant, laissant voir un peu de la chemise, pose un réel problème de
datation. Très populaire dans les milieux de la reconstitution, elle ne figure pas dans l'enluminure de
Février. Si l'on se réfère à d'autres oeuvres du début du siècle, où des cottes lacées sont visibles,
comme l'Adoration des Mages de Gentile da Fabriano6, cette ouverture plus large constitue une
nouveauté. La cotte lacée de la femme derrière la Vierge dans l'oeuvre italienne ne laisse en effet
rien voir des couches inférieures. Elle est en revanche bien présente dans la peinture flamande à
partir, là encore, de la troisième décennie. Elle deviendra même de plus en plus courante au cours
du siècle, laissant voir la chemise, comme c'est le cas dans le mois de Juin, une sous-robe, ou
encore le tassel, selon les agencements et les statuts. Signalons enfin qu'il existe, d'après les oeuvres
flamandes, un autre type de cotte, apparaissant, semble-t-il, à la même période, qui permet
d'entrevoir la chemise, ou des couches intermédiaires : la cotte à laçage latéral, de la taille aux
hanches.
La chemise à femme sans manches.
Les chemises visibles dans les Très Riches Heures du Duc de Berry se justifient par la
chaleur. Nous allons à présent revenir sur un cas évoqué brièvement lors d'un précédent article : la
chemise féminine sans manches, dont, rappelons le, une pièce archéologique, disparue lors de la
Deuxième Guerre Mondiale, figurait dans l'ouvrage de Carl Köhler. Les représentations de ces
chemises sont, avec les nus, l'une des rares occasions de voir des bras féminins totalement nus dans
l'art médiéval.
Cette chemise à bretelles plus ou moins fines, ou à manches très courtes n'est pas si rare.
Elle figure dans la fresque de la Fontaine de Jouvence du Castello della Manta7, près de Turin,
portée par l'une des vieilles femmes. On la voit encore sur quelques dessins italiens, de Pisanello,
par exemple. Cette existence en Italie du Nord de chemises sans manches répond aux interrogations
de Nadège Gauffre-Fayolle : « Certains manuscrits de Bohème montrent une forme moins connue.
C'est une chemise de type bustier, avec ou sans bretelles, resserrée à la taille et s'évasant vers le bas.
Ces chemises sont toutes portées par des femmes dans les établissements de bains. Est-ce une mode
spécifique à l'Europe de l'Est ? Est-ce une tenue uniquement portée par les femmes travaillant aux
bains ? Dans les sources écrites, nous ne rencontrons qu'une seule mention de chemise pouvant
appartenir à cette catégorie : un inventaire après décès de la ville de Dijon décrit une chemise à
femme sans manches.8 » On peut aisément en élargir le contexte géographique, et les circonstances.
6 1423, Galerie des Offices, Florence.
7 Vers 1420.
8 Nadège Gauffre-Fayolle, Une Définition du sous-vêtement médiéval à partir de la comptabilité de la cour de
Savoie, in Le Corps et sa parure, pp. 309-327, p. 317. N. Gauffre-Fayolle indique en note que ses informations sur
l'inventaire après décès bourguignon proviennent d'un travail en cours de Françoise Piponnier.
Il est vrai que les représentations les plus célèbres viennent de Bohème. La Bible de
Wenceslas IV et deux autres ouvrages9 destinés à ce souverain comportent en marge plusieurs jeunes
femmes travaillant aux étuves en tenue légère. Mais, nous avons vu que le phénomène ne se limitait
pas à ces cas, ce qui est confirmé par les mêmes sources bohémiennes où des femmes honorables,
de surcroît avec bébé, peuvent être au lit dans ces chemises.
Les formes en sont fort variées. Si la pièce archéologique nous présentait un exemple où les
bretelles étaient coupées dans la continuité de l'encolure ronde, conception que l'on retrouve sur
certaines sources italiennes, les divers témoignages iconographiques nous montrent des bretelles
plus ou moins larges, empiétant parfois sur l'épaule. Certaines chemises sont des bustiers, sans
bretelles donc. D'autres n'en ont qu'une. Celle-ci peut s'accrocher à l'avant et à l'arrière du même
côté, en passant sur la même épaule ou partir du sein gauche, passer sur l'épaule droite, et être
cousue au niveau de l'omoplate gauche (ou inversement). Certaines enluminures pourraient même
laisser supposer la présence d'une bande (Galon ? Ruban?) décorée au niveau de la poitrine. Les
encolures sont, là, carrées. Parfois la chemise est transparente et ne cache rien de l'anatomie
féminine. Peut-être est-ce l'eau qui a rendu le vêtement ainsi, une sorte de version médiévale du
drapé mouillé antique ? Les chemises transparentes ne paraissent pas être représentées en dehors
des scènes d'étuves. Mais, bien évidemment, ces robes-linges ne dissimulant plus rien ont un aspect
érotique bien plus fort que les chemises opaques, qui elles-mêmes sont plus érotiques que les
chemises à manches longues, dissimulant la poitrine.
Ces chemises sans manches ont-elles uniquement un intérêt érotique10 ? On pourrait
l'envisager en ce qui concerne les chemises transparentes, mais celles-ci sont minoritaires. Il
convient alors de nous demander si l'érotisme est bien le seul intérêt de ce vêtement.
Les employées des bains ne sont pas les seules femmes à travailler en chemise sans
manches. Une carte à jouer germanique nous présente ainsi une potière, dans une tenue similaire.
Agrémentée de fines bretelles, avec une encolure carrée, la chemise est cintrée. Les deux
professions ont un point commun : les éclaboussures, d'eau ou d'argile mouillée, qui peuvent
atteindre les bras. Nous revenons alors à l'origine même de la chemise de corps. C'est, de par sa
situation dans les différentes couches, le vêtement qui est le plus souillé, le plus soumis à la
transpiration, et le plus lavé. Par souci d'hygiène, il reste écru, ou est blanchi. Et il est généralement
d'une matière qui se lave relativement aisément : le lin ou le chanvre. Ce simple constat permet de
comprendre pourquoi, pour certaines tâches, les femmes préfèrent travailler en chemise. La laine,
portée de surcroît en couche visible, se lave tout simplement bien moins facilement, et craint plus
les éclaboussures diverses.
C'est ce fait qui peut aussi justifier l'absence de manches. Les bras sont, dans les deux
activités, les parties qui seront les plus mouillées. Or, nous savons à quel point il est désagréable de
porter des vêtements humides. Les bras nus se sèchent rapidement, et, dans le cas de la potière, se
nettoient commodément. Les sages-femmes peuvent aussi porter cette robe-linge sans manches,
comme en témoigne une fresque de Giusto de Menabuoi au Baptistère de Padoue. La sage-femme
portant le petit saint Jean Baptiste est vêtue de ce type de chemise, pendant que ses consoeurs
remplissant le baquet ou tenant un linge ont retroussé les manches de leurs cottes. La chemise sans
manches, en dehors de tout aspect érotique, s'avère être la tenue la plus hygiénique et la plus
pratique pour certains métiers. Elle peut ainsi être considérée souvent comme une adaptation de la
tenue au travail, tout simplement en ôtant les couches supérieures et en ne portant plus qu'une robe-
9 Bible de Wencelas IV, vers 1390-1395, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, MSS 2759-64
Commentaires sur Ptolémée, entre 1395-1405, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, 2271.
Epîtres de saint Paul, entre 1390-1400, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, 2789.
10 Cet aspect, ainsi que les différentes origines géographiques des chemises sans manches seront plus amplement
développés par Marie de Rasse dans un article à paraître prochainement, qui devrait normalement être intitulé Le
Cas particulier de la chemise sans manche.
linge, et n'est pas limitée aux étuves bohémiennes. Quant à la ceinture à la taille, ou le resserrement,
ceci relève aussi de l'aspect pratique, une tenue trop ample pouvant s'avérer gênante, tout en
risquant plus d'être souillée, et donc d'être portée humide.
En conclusion, il paraît totalement erroné d'envisager que ce type de chemise soit la marque
d'un quelconque manque de vertu, ou qu'il soit réservé à une seule profession, ou à un seul secteur
géographique.
Hommes au travail.
Cette nécessité de protéger les manches de projections d'eau est aussi un aspect des
travailleurs masculins, comme le souligne Perrine Mane : « Sur les chantiers de construction, les
gâcheurs de mortier font de larges mouvements avec leurs bras et sont en contact constant avec
l'eau ; aussi relèvent-ils leurs manches. Il en va de même, avec une fréquence moindre, pour les
métiers salissants, comme les poissonniers ou les bouchers.11 »
De nombreux travailleurs, hommes ou femmes, protègent cependant leurs vêtements avec un
tablier. Il semble bien que l'humidité et la chaleur soient les facteurs décisifs quant au travail en
chemise, ou bras nus.
Les connotations morales liées à la chemise sont toujours présentes, selon les oeuvres. Si on
peut considérer que de nombreux exemples sont des reflets, plus ou moins améliorés, des
travailleurs de la fin du XIVe et du XVe siècles, d'autres cas relèvent de la représentation de la
vulgarité. On pense en particulier à la fresque de Piero della Francesca, Le Transport de la Poutre
Sacrée, se trouvant dans l'église San Francesco d'Arezzo. Les trois porteurs, figurés en plein effort,
apparaissent particulièrement négligés. Le premier est chausses pendantes, le pourpoint passé par
une seule manche. La chemise fendue aux côtés et portée avec une ceinture laisse voir des braies
qui elles mêmes ne cachent pas grand chose. Le sens poussé du détail du peintre toscan nous permet
de constater que même pour une chemise de travailleur, l'emmanchure arrondie est devenue
possible. Le deuxième est jambes nues. La large encolure en V de sa poitrine laisse voir une partie
de sa poitrine et ses clavicules. Nous sommes loin des cols de chemises soigneusement fermés par
une fibule de la Bible de Maciejowski. Le dernier, coiffé de lierre, a conservé son pourpoint, mais
l'a ouvert. La chemise, sortie des chausses, pend sur l'avant. Dans les trois cas, on note des tenues
amples, et des manches larges, correspondant à la mode du XVe siècle italien. Leur rôle, dans la
Légende de la Croix, n'est pas des plus nobles, l'épisode illustrant le dédain des Juifs pour le Bois
Sacré, provenant du Paradis, qui servira à faire la Croix du Christ. La comparaison avec un autre
travailleur de ce même cycle d'Arezzo paraît significative. Dans l'épisode de La Découverte de la
Vraie Croix, un homme lui aussi chausses baissées, chemise fendue sur les côtés dépassant du
pourpoint, semble malgré cela bien plus digne que les trois porteurs de la Poutre Sacrée, quelques
fresques, et siècles dans le récit, auparavant. L'expression même du personnage au repos semble
aller en ce sens. Sa chemise présente encore un aspect que nous n'avons jamais rencontré
auparavant : un col particulièrement haut et suffisamment large pour laisser passer la tête. On
imagine aisément ce que cela donne avec un vêtement de dessus fermé : le petit bout de col blanc
visible sur tant d'oeuvres italiennes de la seconde moitié du XVe siècle.
Vêtir un petit enfant.
Si l'adulte ne se montre en chemise que dans des cas finalement exceptionnels, il n'en est pas
de même pour l'enfant12 qui, de un à sept ans peut sans honte porter sa chemise en toutes
circonstances. Nous allons ainsi nous attacher brièvement à la manière dont les enfants étaient vêtus
11 Perrine Mane, Emergence du vêtement de travail à travers l'iconographie médiévale, in Le Vêtement, histoire,
archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,1, Paris 1989, pp. 94-95.
12 Nous nous baserons essentiellement, pour cette partie, sur l'article de Danièle Alexandre-Bidon, Du Drapeau à la
cotte, vêtir l'enfant au Moyen-Âge (XIIIe-XVe s.), in Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires
au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,1, Paris 1989, pp. 123-168.
dans les premières années de leur vie.
Les premiers mois de son existence, le nouveau-né porte ce qu'on appelle un maillot, dont
l'apparence varie selon les régions. Les bandes enserrent de manière bien plus forte le bébé en Italie
que plus au nord. Chez les plus aisés des bandes de lin enserrent d'abord la taille pour la douceur du
tissu, et, encore, par hygiène. Le chanvre blanc, moins onéreux, est aussi présent, toujours en raison
du lavage de ces pièces qui seront fatalement les plus souillées. Les fesses sont, dans les premiers
temps, laissés libres. Il semble même que l'enfant était nu ou partiellement dévêtu pour téter, et
n'était rhabillé qu'après que la nature eut fait son oeuvre...
Ces premières bandes sont recouvertes d'un lange de laine, pour la chaleur, ce lange pouvant
être, en Italie, maintenu en place par une nouvelle bande. Les bandes de lin ou de chanvre blanc à
même le corps évitent ainsi de salir un tissu plus difficilement lavable. Nous rejoignons ici nos
observations sur la chemise sans manches. Les différentes pièces composant le maillot ne sont
d'ailleurs pas en nombre égal dans les inventaires florentins : on compte « trois fois plus de linges
de peau que de langes de laine13 ». La bande de lin supérieure, retenant le lange, se trouve en
quantité égale à celui-ci. On en déduit ainsi aisément quelle partie de l'habillement du bébé était la
plus souvent changée, et lavée.
Les bras et les jambes sont maintenus. Un bonnet est conseillé, afin d'éviter, croyait-on, les
oreilles décollées.
Le rouge est la couleur privilégiée, mais non la seule, pour le lange et la bande extérieure
chez les riches, cette couleur étant considérée comme protectrice pour l'enfant. « Le rouge des
langes et des bandes protégeait, pensait-on, contre les maladies -hémorragies (rouge du sang), peste
(dès la fin du XIVe siècle) et surtout la rougeole.14 » Cette importance donnée à la couleur rouge se
manifeste aussi dans un talisman fort présent dans la peinture médiévale : le corail rouge, que l'on
trouve en pendentif ou en perles au cou de l'enfant Jésus.
C'est un peu avant de pouvoir se tenir debout et de savoir marcher que l'enfant quitte ses
linges et langes sans coutures. Il porte en premier lieu un demi-maillot15, le haut étant composé
d'une chemise libérant ainsi les bras. Vers l'âge d'un an, l'enfant quitte totalement le maillot pour
être généralement vêtu d'un ensemble chemise-cotte (ou robe), et ce jusque l'âge de sept ans où son
costume sera proche de celui des adultes.
On constate au cours de cette période de six années que la tenue, ample, se raccourcit au fil
des ans. A un an, la tenue est longue. Peu avant sept ans, elle est courte. On peut supposer qu'il s'agit
d'une tenue unique, qui suit la croissance de l'enfant, et à laquelle on peut, le cas échéant, ajouter
des bandes horizontales dans la partie inférieure. Ceintures et autres accessoires, en dehors d'un
éventuel bonnet, sont absents du costume de l'enfant avant ses sept ans. Néanmoins, un blousage,
peut-être par simple cordelette invisible, est envisageable lorsqu'il s'agit d'aider ses parents. Il ne
paraît pas y avoir de sexuation par le vêtement avant l'âge de sept ans, aucune différence n'étant
faite entre petits garçons et petites filles. Par la suite, la ceinture d'enfant (nommée ceinture à usage
d'enfant dans les inventaires16, ce qui la distingue bien des ceintures d'adultes) sera de deux
couleurs. Soit rouge, soit noire. Les deux couleurs protectrices de l'enfant.
La chemise de l'enfant est toujours plus fine et plus douce que la cotte. Elle joue toujours le
rôle de double protection : protection de la peau contre les démangeaisons de la laine, protection de
la laine contre les souillures corporelles. La coupe des deux vêtements devait être la même : ample
13 D. Alexandre-Bidon, op. cit., p. 128. Deux comptes y sont détaillés.
14 Ibid, p. 127.
15 Vraisemblablement vers l'âge de trois ou quatre mois, six mois au plus tard. Ibid, p. 132.
16 Ibid, p. 144.
et fendue sur les côtés, la cotte pouvant être fendue sur l'avant17. Les fentes des deux couches
n'entravent pas la marche. La fente centrale de la cotte ayant aussi un aspect pratique au niveau de
l'hygiène.
En été, la chemise peut se porter seule. Rien ne se trouve en dessous : ni chausses, ni braies.
Les chaussures sont réservées aux plus grands.
Cette chemise d'été peut être fermée au col par quelques boutons. Danièle Alexandre-Bidon
signale le cas des chemises allemandes du XVe siècle, ouvertes sur toute leur longueur, et fermées
au col par un bouton, et, parfois à la poitrine, le ventre et les jambes étant laissés à l'air18. Ces
chemises ouvertes arriveront en France plus tardivement19. Ce type se retrouvera également dans
l'art flamand.
Le patron des tenues enfantines est certainement simple, la forme étant découpée dans une
seule pièce formant l'avant et l'arrière. Ceci peut être valable pour la cotte comme pour la chemise.
Nous avons ainsi, au cours de cet article, eu l'occasion d'observer les cas les plus fréquents
où la chemise peut-être portée sans aucune honte. Les deux cas, à savoir le travail et l'enfance, ne
sont pas sans rapport. C'est principalement pour des raisons hygiéniques et pratiques que la cotte de
laine peut-être abandonnée. Son lavage et son entretien plus délicats que ceux de la chemise de lin
ou de chanvre expliquent la quasi totalité de nos exemples. La superposition des couches étant
également peu hygiénique lorsque l'on travaille par temps chaud, et génère un inconfort certain.
L'art fourni de plus en plus d'exemples. La multiplication des images est-elle liée à une évolution
des mentalités autorisant plus de libertés prises avec l'habillement ou autorisant la reproduction plus
fidèle de phénomènes vestimentaires existant depuis déjà quelques siècles ? Ces représentations
sont en tout cas parallèles à des changements de mode, à de nouvelles conceptions des couches de
vêtements permettant la mise en valeur de certaines parties des robes-linges.
Bibliographie sélective :
Carl Köhler, bearb. von Emma Sichart: Praktische Kostümkunde. (2 Bände), Bruckmann, München 1926. Edition
utilisée : A History of Costume, traduction de Alexander K. Dallas, Dover Publication, New York, 1963.
Françoise Pipponier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen-Âge, Adam Biro, Paris, 1975. Edition consultée : édition
anglaise : Dress in the Middle Ages,Yale University Press, New Haven Londres, 1997 pour édition originale, 2007 pour
édition consultée.
Collectif : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,
1, Paris 1989
Collectif : Le Corps et sa parure, Sismel, Florence, 2007
Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, Getty Publications, Los Angeles, 2011.
Remerciements : Cathy Bernabel, Gabriel Cadieux, Marie-Chantal Cadieux, Marie De Rasse, Adeline Magnier,
Bénédicte Meffre (Hémiole), Séverine Watiez (Perline)
17 Ce que l'on observe déjà dans une fresque de l'oratoire des saints Quirino et Giuliatta, à Rome, au VIIIe siècle.
18 D. Alexandre-Bidon, op. cit. p. 140.
19 Ibid.
La chemise au Bas Moyen-Age
Modérateur : Andrieu Dervenn
Re: La chemise au Bas Moyen-Age
La chemise du XIVe siècle
Tina Anderlini
Docteur en Histoire de l'Art
Le XIVe siècle apparaît comme une période charnière dans l'histoire du costume occidental.
Les bouleversements qu'il apporte touchent la longueur, la forme, la coupe, et transformeront à
jamais la conception de nos tenues, au grand dam des censeurs. La mode, phénomène épisodique
précédemment, prend de plus en plus d'importance, marquant des décennies, des zones
géographiques, des catégories. Plus on avancera dans le temps, plus les changements seront
fréquents. On pourra ainsi, dès la fin du XVe siècle, pratiquement dater par année les tenues des
élégantes vénitiennes.
La nouvelle mode. Cachez ces cuisses que nous ne saurions voir !
Jusqu'à présent, nous avons noté que les tenues médiévales masculines arrivaient au moins au
dessus du genou, voire en dessous depuis le XIIe siècle. Même dans le cas de tenues fendues, la
masse de tissu est suffisamment importante pour dissimuler autant que possible les cuisses. Il s'agit
de rester décent et digne. La norme en 1325 est mi-mollet, ou même plus bas.
Les choses changent radicalement durant le second quart du XIVe siècle. Influencés peut-être par
certaines tenues militaires, plus courtes et plus ajustées, certains élégants se mettent à porter dans le
civil des tenues serrées, fermées bien souvent par des boutons, autant sur le torse que sur les bras, et
ne cachant pratiquement rien des cuisses. Il serait faux d'imaginer le caractère universel de cette
tendance, qui paraît surtout concerner de jeunes hommes, peut-être les premières fashion-victims...
Elle n'est pas non plus spontanée : elle progresse en Europe, mais ne s'impose pas d'un seul coup.
Les longueurs « choquantes » varient selon les régions (on est à mi-cuisse dès le second quart du
siècle en Italie, bien plus tard en Pologne) et selon le type de vêtement : un pourpoint sera en
général plus court et plus ajusté, au début, qu'une tenue non matelassée.
Et, tout naturellement, cette exposition de cuisses, de fesses et de bosses, auxquelles répondent les
expositions de gorges féminines, ces tenues ajustées au torse et aux bras, pour les deux sexes, cette
éruption de boutons, réels ou factices, et là encore pour hommes comme pour femmes, furent la
cible des censeurs et moralisateurs...
« car, en yver, quant il fait grant froit, elles meurent de froit à leurs ventres et à leurs tetines, qui ont
plus grant mestier d'estre tenues chaudement que les talons, et en esté les puces s'y mucent, et pour
ce je ne prise riens la nouveauté ne telle cointise. »2 Finalement, les jeunes femmes sont aussi des
fashion-victims.
1 Geoffrey Chaucer (1343-1400), The Romaunt of the Rose, vers 1195-1196
Car à travers sa chemise, tissée de soie,
La chair était vue, aussi blanche que le lait.
Il s'agit là de la traduction/version anglaise qui aurait été faite par le célèbre poète du roman de Guillaume de Lorris,
datant du siècle précédent. Ce passage fait partie de la description de Largesse :
Que parmi outre la chemise /Li blanchoioit sa char alise. (vers 1173-1174)
2 Geoffroy, Chevalier de la Tour Landry, p. 49. Le chevalier fustige ici les robes à la mode, avec traîne et fourrées
à l'arrière, alors qu'elles sont amplement décolletées, ne protégeant pas la poitrine du froid ou des parasites. Le
chevalier ne manque pas non plus de critiquer les tenues courtes masculines.
Une tenue près du corps, cachant à peine les fesses, s'accorde difficilement avec l'amplitude et la
longueur d'une chemise XIIIe, comme celle de st Louis. Et que penser des décolletés des jeunes
femmes ? Nous allons donc forcément observer l'arrivée de nouveaux patrons.
Avant de nous intéresser à la chemise proprement dite, il serait intéressant d'analyser les enjeux des
nouvelles habitudes vestimentaires de nos dandys médiévaux. Même si ceci concerne les couches
supérieures, l'enseignement est d'importance, et nous pouvons ainsi mieux comprendre le costume
médiéval dans son ensemble.
Nous nous baserons principalement pour cela sur l'excellent article d'Odile Blanc : « Vêtement
féminin, vêtement masculin à la fin du Moyen Age. Le point de vue des moralistes »3 et sur celui de
Françoise Piponnier « Une Révolution dans le costume masculin au XIVe siècle »4.
La longueur, pour Françoise Piponnier, n'est pas le fait le plus marquant, dans un premier temps.
Une longueur au dessus du genou, considérée comme choquante pour la meilleure société, était
pourtant la norme avant le XIIe siècle. Néanmoins, le raccourcissement se fit plus important, et les
fesses furent mises en valeur. Les chausses également, et celles-ci se firent plus moulantes, et
luxueuses.
C'est bien le côté ajusté, nécessitant une toute nouvelle manière de couper le vêtement, aussi bien
masculin que féminin, qui est révolutionnaire. Et, pour faciliter cet ajustement, l'ouverture se fit sur
toute la longueur, et fut fermée par toute une série de boutons. La mode passa même sur les
vêtements longs, sans qu'il y ait nécessité. Le rembourrage, jusque là réservé aux costumes
militaires et aux sous-vêtements vint encore amplifier certaines parties du corps, donnant un
bombement très reconnaissable aux torses masculins.
Ce type de vêtement mettant les fesses en valeur fut rapidement désapprouvé. Les condamnations
apparaissent dès 1335 en Italie. Toute l'Europe occidentale jusqu'à la Pologne semble avoir connu
cette mode, sans que l'on sache avec certitude d'où elle vient. Une mode occidentale qui serait
réservées au départ, bien avant de toucher la bourgeoisie, aux classes guerrières5, et surtout... Aux
jeunes. Il semble là que nous soyons devant un phénomène très courant aujourd'hui. Mais
totalement inédit au Moyen Age ! La plus grande révolution ne se situerait-elle pas là ?
Que pouvait avoir de si choquant ce nouveau costume ? Odile Blanc souligne à juste titre une
différence essentielle entre la tenue masculine et la tenue féminine. Si les femmes se dévoilent
(contrairement aux hommes) par d'amples décolletés, si le torse et les bras sont mis en valeur par
une coupe plus ajustée et des boutons, la robe de la femme ne se raccourcit pas. Le bas du corps
reste totalement dissimulé. C'est d'ailleurs moins l'ajustement qui choque chez les femmes que le
dévoilement. Pour Gilles de Muisi, « le raccourcissement et l'ajustement du vêtement masculin (est)
impudique et déshonnête (inhonestum) »6, alors que le vêtement féminin est « non seulement
impudique mais lascif, incitant à la débauche. C'est dire que la révélation des formes, chez la
femme, a valeur de dénudation. Elle fait naître le désir (masculin) et représente par conséquent une
dangereuse tentation : un objet de péché. Le corps masculin, d'être ajusté au plus près – et aussi,
différence capitale, sujet du désir-, ne suscite que moqueries et réprimandes de se montrer ainsi au
naturel, sans pudeur : semblables aux bêtes.» 7. Cette bestialité est de nouveau évoquée par Odile
Blanc : « L'homme de mode, à la fin du Moyen-Age, n'est pas tant lubrique qu'obscène, et
l'impudeur avec laquelle il révèle les formes de son corps le rapproche de l'animal. C'est
essentiellement sur ce point que portent les critiques. (…)
L'exhibition de la partie basse de l'homme est en effet l'innovation majeure du pourpoint. C'est elle,
plus encore que l'ajustement au corps, qui rapproche l'homme de l'animal. Le vêtement ne remplit
plus en effet le rôle qui lui a été assigné après la chute, celui de cacher le sexe devenu coupable et
3 Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age, pp. 243-253.
4 Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age, pp. 225-242.
5 Mais pas au cercle royal. Françoise Piponnier précise que Charles VI serait le premier roi de France à avoir adopté
cette mode, un demi-siècle après son apparition. Une Révolution dans le costume masculin au XIVe siècle, p. 233.
6 Odile Blanc, Vêtement féminin, vêtement masculin à la fin du Moyen Age. Le point de vue des moralistes, p. 244.
7 Ibid.
par conséquent honteux » 8. Il semble qu'il vaut mieux y réfléchir à deux fois, avant de couper son
costume, surtout avant le XIVe. Longueur et amplitude ne sont pas à négliger. La totalité de l'article
d'Odile Blanc sur cette mode qui suscita énormément de condamnations et de moqueries9 mériterait
d'être repris ici, tant il montre bien l'importance du vêtement médiéval, de sa coupe, de sa longueur,
de ce qu'il montre et de ce qu'il cache. Mais, cela nous éloignerait trop de notre sujet de départ...
Reims, capitale de la chemise de luxe ? Ce que nous apprennent les comptes et inventaires.
La chemise reste juste évoquée dans les inventaires. Ce que l'on notait déjà au XIIIe siècle :
l'inventaire des tissus donnés par le roi d'Angleterre Henry III à sa soeur Isabelle lors de son mariage
avec l'empereur Frédéric II ne signalait alors que 90 aunes de lin pour les chemises de cinq dames
de la chambre royale. Peut-être les 187 aunes de lin de Reims, destinés à Isabelle, étaient-ils prévus
pour la confection des chemises de la future épouse, tout comme les 98 de lin de Liège10. Si 90
aunes devaient suffire à 5 dames, on en déduit que la future impératrice avait de quoi faire 10
chemises... Ou 20, si les dames avaient droit à 2 chemises chacune. Il est hélas impossible d'avoir
une idée précise de ce que cela représente en mètres, les mesures variant d'un lieu à l'autre. L'aune
est plus ou moins équivalente au mètre. On peut envisager entre 150 et 200m de lin. Une vraie
commande royale ! Il semble, d'après les comptes savoyards, que moins de 4 aunes étaient
nécessaires pour une chemise longue et des braies d'homme. Le trousseau d'Isabelle était-il prévu
pour faire une quarantaine de chemises, voire bien plus ? En 1387 la reine de France Isabeau de
Bavière commande 32 aunes pour un total de 16 chemises, à raison de 2 aunes par chemise11. Si
l'aune du XIIIe siècle est égale à celle du XIVe, la commande anglaise est impressionnante. Il est
plus rassurant de supposer une aune autre, un lé plus étroit, et des chemises bien plus amples !
On remarque que seule la provenance du lin destiné à Isabelle est mentionnée. Ce lin était considéré
comme le plus fin, d'une finesse comparable à la mousseline. Reims est un gage de qualité, comme
le souligne Nadège Gauffre-Fayolle dans son article sur les sous-vêtements médiévaux à partir des
comptes de la cour de Savoie. « La ville de Reims produit les toiles les plus appréciées par la cour
de Savoie, mais aussi par l'ensemble des cours européennes et par les princes d'Orient. En effet, les
toiles rémoises sont déjà achetées au tout début du XIVe siècle, et ne seront réellement
concurrencées par les toiles de Hollande, de Constance et de Troyes que dans le premier quart du
XVe siècle. Des toiles d'Allemagne, d'Epinal ou encore de Paris sont conservées dans la réserve du
comte ou du duc, mais les toiles de Reims et de Hollande sont les seules utilisées pour la réalisation
des robes linges. »12. Il semble que la production rémoise était déjà populaire parmi les cours
européenne dès le XIIIe siècle. D'ailleurs la cour d'Angleterre continua à se fournir à Reims du
temps d'Edward Ier. Seule la famille royale bénéficiait de cette toile luxueuse. Ce qui rejoint notre
remarque concernant Isabelle d'Angleterre. La reine de France se fournit aussi à Reims. Mais,
Reims ne produit pas le lin le plus remarquable. Les toiles de Constance et Troyes seraient
supérieures. Mais, leur clientèle est religieuse...13
Les comptes de Savoie nous apprennent d'autres choses concernant les étoffes destinées aux robes
linges (chemises et braies). Les provenances, en dehors de Reims, ne sont pas citées, ce qui
différencie le lin de la laine pour laquelle l'origine est régulièrement spécifiée14. Les couleurs non
plus. Mais, il faut préciser que le lin de couleur semble réservé aux doublures (dont sont dépourvus
8 Ibid. p. 247.
9 Les moqueries touchent également les coiffes féminines. Certains éléments qui nous paraissent si évocateurs du
Moyen-Age étaient en fait considérés par la majorité des gens comme ridicules.
10 Benjamin L. Wild, The Empress new clothes, in Medieval clothing and textiles, pp. 22-25.
11 Nadège Gauffre-Fayolle, Une Définition du sous-vêtement médiéval à partir de la comptabilité de la cour de
Savoie, in Le Corps et sa parure, pp. 309-327, p. 317. Recherche réalisée à partir de documents de 1300 à 1430.
L'étude sur Isabeau de Bavière provient de L. Douët d'Arcq, Comptes de l'hôtel des Rois de France aux XIVe et XVe
siècles, Paris, 1865, 153.
12 Ibid pp. 325-326. Recherche réalisée à partir de documents de 1300 à 1430.
13 Ibid, p. 326.
14 Même chose pour les comptes du roi d'Angleterre.
les sous-vêtements), à l'ameublement, ou aux caparaçons de chevaux.15 Comme le souligne Nadège
Gauffre-Fayolle, c'est le confort qui prime dans les descriptifs. Les toiles sont ainsi classées en cinq
catégories : « bonne, grosse, fine, prime et subtil auxquels s'ajoutent les caractéristiques neuve ou
crue (non blanchie). Seules les toiles primes et subtiles, dont les prix sont les plus élevés, servent à
réaliser des robes linges. »16
Enfin, les inventaires après décès bourguignons nous renseignent sur la manière dont sont désignées
les chemises : Chemise à homme, ou chemise à usage de femme17.
La chemise à homme.
Nous n'avons pas, pour homme, de pièce équivalente à la chemise de st Louis. Mais, nous avons
bien plus de représentations. La peinture italienne, à la suite de Giotto, devient plus réaliste, plus
détaillée, et nous pouvons ainsi observer diverses coupes lesquelles, précisons-le, ont souvent des
équivalents hors de la péninsule. Nous n'avons pas là de cas particuliers semblables aux chemises
espagnoles du XIIIe siècle.
Evidemment, ce sont encore les paysans qui nous fournissent le plus grand nombre de modèles.
Nous retrouvons ainsi des cols en V, déjà vus auparavant. Mais aussi, plus rare, une large encolure
ronde, sur le jeune st Martial. La variété des formes continue.
Les formes amples et relativement longues perdurent. Avec cependant ce qui semble être une
nouveauté : les fentes latérales. Si l'on peut supposer que cela est nécessité, pour les paysans, par un
vêtement plus étriqué (donc moins de tissu, donc moins cher), une fresque d'Agnolo Gaddi semble
indiquer que le phénomène est plus général, puisque c'est l'empereur Héraclius lui-même qui en est
revêtu. L'empereur byzantin est pieds nus et en chemise, en signe d'humilité, alors qu'il ramène la
Sainte Croix volée par Chrosoes à Jérusalem. Son vêtement abondamment plissé ne paraît pourtant
pas avoir besoin d'un fente. Mais peut-être ce petit confort supplémentaire est-il appréciable.
Héraclius nous fournit l'occasion de vérifier que la symbolique liée au port de la chemise est
toujours présente (voir aussi notre encadré sur la Griselda de Boccace). Héraclius est humble.
D'autres sont humiliés. On pense, bien évidemment, au célèbre épisode des Bourgeois de Calais,
devant présenter en 1347 les clefs de leur ville au roi Edward III en chemise, et qui ne devront la vie
qu'à l'intervention de Philippa de Hainaut, femme d'Edward, originaire de Valenciennes. C'est aussi
sur un captif, dans l'Allégorie du Bon Gouvernement d'Ambrogio Lorenzetti, que nous voyons ce
qu'il y a sous ce pourpoint qui a tant choqué, ou fait rire, c'est selon, les contemporains. Plusieurs
prisonniers sont amenés. L'un d'entre eux porte encore son pourpoint ajusté, mais peut-être s'agit-il
de sa tenue militaire. A ses côtés, de dos, un homme est lui vêtu d'une chemise courte. Moins
ajustée aux fesses que le pourpoint, elle est également munie de fentes latérales, qui là devaient être
une nécessité. Mais, si elles sont fréquentes, les fentes ne sont pas systématiques.
Les paysans ne semblent pas avoir suivi la mode du pourpoint très ajusté apprécié par les jeunes
gens à la mode, mais on constate sur certaines enluminures du Tacuinum Sanitatis que la chemise
courte paraît avoir eu plus de succès. Economie de tissu ? Tenue plus légère pour les travaux ? Ou
simplement fantaisie artistique ? Les différentes versions du Tacuinum montrent aussi que les règles
de pudeur et de bienséance ne s'effacent pas que pour les paysans. D'autres travailleurs nous
dévoilent totalement ou en partie leurs chemises, pour travailler plus confortablement. La chemise,
première tenue de travail ?
Nadège Gauffre-Fayolle signale encore l'existence de chemises à porter seules. Mais, précisons
immédiatement que cela se faisait en des contextes bien spécifiques. « Le mercier Edouard Tadelin
livre de quoi confectionner pour les trois enfants de Philippe d'Evreux et de Jeanne de Navarre des
chemises de toile doublées de soie, brodées de fils et agrémentées d'orfroi. Ils assisteront vêtus de
la sorte à la cérémonie des relevailles de leur mère. »18 Doublure et broderies ne figurent pas sur les
15 Nadège Gauffre-Fayolle, op. cit., p. 325.
16 Ibid.
17 Ibid, p. 316.
18 Ibid, p. 318.
chemises masculines ordinaires, même de la noblesse. Nous nous trouvons devant une tenue qu'on
peut presque considérer comme étant cérémonielle.
La chemise à usage de femme.
Il ne saura ici être question de raccourcissement, on s'en doute ! Tout au plus la Pauvreté montre ses
mollets (mais, parfois, sa chemise est faite d'un sac). Le changement se situe au niveau du col. Plus
ample, afin de ne pas dépasser de la cotte. Le scandale est cependant possible... Pour une ivrogne.
« Avant de quitter votre chambre et votre maison, vérifiez la collerette de votre chemise, de votre
camisole blanche, de votre tunique ou surcot : que l'une ne monte pas sur l'autre. Il existe des
femmes ivrognes, folles ou ignorantes qui ne font pas attention à leur honneur, ni à ce qui sied à
leur état et à celui de leur mari ; elles marchent (…) le col de leur chemise et de leur cotte l'un sur
l'autre (…). Et lorsqu'on leur fait une remarque, elles se disculpent en prétextant la hâte et la
modestie, prétendant être si pressées, si occupées et si altruistes qu'elles ne pensent pas à prendre
soin d'elles. Mais elles mentent (...) »19
Car c'est ainsi que l'auteur du Mesnagier de Paris considère, dans ses conseils à sa jeune épouse, les
femmes qui, entre autres tares impardonnables, montrent le col de leurs chemises. Espérons pour lui
qu'il ne vécût pas assez longtemps pour voir ce qu'il advint au siècle suivant !
Et si Largesse nous laissait voir sa chemise à travers son col ouvert, c'est parce que dans sa
générosité, elle avait donné son fermail. L'auteur du Mesnagier le lui aurait peut-être pardonné.
Apparaître en chemise est, comme pour les hommes, toujours humiliant. C'est en chemise qu'une
femme adultère devait se repentir à l'église. C'est en chemise que les femmes condamnées, comme
les hommes, sont exécutées.
Seules quelques catégories travaillent en chemise, pour les mêmes raisons que les hommes, le temps
d'accomplir leurs tâches.
Il semble également que les chemises plissées soient communes. Mais, en dehors de ces plis, qui
peuvent être très esthétiques, la chemise à usage de femme était-elle décorée ? On se souvient des
superbes exemples espagnols, peu appréciés par les censeurs du XIIIe siècle. L'iconographie ne
laisse rien paraître. C'est dans la littérature que nous trouvons une réponse.
« White was her smock ; its collar, front and back,
Embroidered with black silk inside and out »20
Ces vers de Chaucer laissent entendre que les Anglaises pouvaient broder le col de leur chemise, à
l'intérieur comme à l'extérieur. Mais, la jeune et jolie épouse du vieux charpentier, dans le Conte du
Meunier n'est pas, à proprement parler, un modèle de vertu... Aussi vaut-il peut-être mieux ne pas
généraliser.
Une trace archéologique effacée...
L'Italie nous avait fourni des modèles de chemises sans manches pour hommes dès le XIIe siècle.
Le XIVe siècle nous montre une version féminine de cet objet, avec une pièce archéologique.
Dans son histoire du costume, Carl Köhler21 propose la photographie d'une chemise du XIVe siècle,
découverte à Burg Ranis, en Thuringe. Malheureusement, on ne sait ce qu'est devenu cet objet
depuis 1926. Nous ne pouvons ainsi avoir d'idée de la matière précise, de sa construction exacte ou
de sa longueur... Ce modèle germanique diffère des italiens des siècles précédents. La comparaison
avec l'iconographie nous apprend qu'il s'agit d'une chemise de femme. Les bretelles sont
particulières. Si, comme c'était certainement le cas aussi en Italie, elles ne sont pas cousues au corps
de la chemise, mais coupées dans la continuité de celui-ci, ces bretelles s'avèrent bien plus fines, ce
19 Le Mesnagier de Paris, vers 1393. Edition consultée : texte édité par Georgina E. Brereton et Janet M. Ferrier,
traduction et notes par Karin Ueltschi, Le Livre de Poche, Paris, 1994, 2010, p. 43.
20 Blanche était sa chemise : son col, devant est derrière,/brodé de soie noir au dedans comme au dehors.
Geoffrey Chaucer, The Canterbury Tales, après 1397. Edition utilisée : Traduction en vers en anglais moderne par
David Wright, Oxford University Press, Oxford, 1985, réédition de 1990. p. 82. The Miller's Tale (le Conte du
Meunier)
21Carl Köhler, p. 177, fig. 209.
qui correspond encore aux modèles renvoyés par les sources iconographiques. En l'absence de la
pièce originale et de toute autre information complémentaire, on ne peut que supposer et se poser
des questions.
L'affinement flagrant des bretelles n'est peut-être pas que dû à une féminisation d'un modèle
masculin22. La mode XIVe, avec ses décolletés, peut expliquer la nécessité de rétrécir cette partie,
afin de la conserver cachée. La chemise de la photographie propose en effet une ample encolure
arrondie, qui paraît en adéquation avec certaines tenues du XIVe siècle.
Qui porte cette chemise ? Les élégantes à l'ample décolleté ? Certaines travailleuses, comme le
montrent de nombreuses sources ? Les femmes aux moeurs légères ? Les femmes, en général ?
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce type de vêtement lors de notre étude sur le XVe siècle23,
siècle où ces chemises sont encore plus documentées. Si nous ne disposons d'aucun autre
témoignage archéologique, il nous reste de nombreuses images, d'origines variées.
Au lit !
Au cours de nos précédentes études, nous avons quelquefois pu observer des personnages endormis
en chemise. Ou des personnages malades, recevant des visiteurs dans leur chambre, toujours en
chemise.
Etait-ce, pour les dormeurs, une convention de représentation, ou était-ce le reflet de la réalité ? En
ce cas, les habitudes auraient changé au XIVe siècle. Les sources iconographiques montrent que l'on
dort nu, que l'on soit homme ou femme, seul (e) ou non, parfois avec un bonnet. Mais Chaucer,
encore lui, évoque dans le Conte du Marchand un vieillard en chemise et bonnet de nuit pour une
nuit de noce bien décevante. L'âge peut expliquer cela24.
Encadré : L'histoire de Griselda. Sainte Patience et sainte Obéissance.
Griselda (Grisélidis, Grisildis, ou encore Griselde, selon les traductions) aurait réellement vécu au
XIe siècle. Son histoire se passe à Saluces, dans le Piémont. Gualtieri (Gautier, ou Walter dans la
version anglaise), marquis de la ville, sommé par son entourage d'enfin se marier, choisit d'épouser
Griselda, bergère, et fille d'un homme très pauvre. Il existe plusieurs versions de ce conte au XIVe
siècle. La première, qui servit de base aux autres, est de Boccace. Elle clôt son Décaméron (1349-
1353). Le récit original étant en Italien, le poète Pétrarque entreprit d'en faire une traduction en latin
dans De Obedientia et Fide uxoria . La troisième version la plus notable25 est de Chaucer. Elle
figure parmi les Contes de Canterbury (à partir de 1387), en tant que Conte du Clerc d'Oxford. Si
Pétrarque restait très proche du texte original, le poète anglais a considérablement enrichi le récit de
Boccace.
Les vêtements, surtout dans la version plus détaillée de Chaucer, jouent un rôle très symbolique
dans cette histoire. Habillages et déshabillages rythment les coups du sort infligés par le marquis à
sa belle bergère. De quoi est-il question ? Gualtieri veut « tout simplement » mettre à l'épreuve
l'obéissance et la patience de son épouse. Pour cela, il n'hésite pas à lui faire croire qu'il a fait tuer,
en bas âge, leurs deux enfants, puis, quelques années plus tard, à prétendre divorcer, grâce à une
fausse bulle du pape, laissant entendre qu'il va épouser une jeune femme, qui, elle, au moins, est de
noble ascendance. Chacun appréciera la noble délicatesse du marquis. Et Griselda n'a pas à se
plaindre. C'est ce moment du récit qui nous intéresse le plus, puisque Griselda est renvoyée chez
elle avec sa dot. Or, Gualtieri l'a prise sans rien. Nue. Vraiment. Puisqu'il l'a totalement vêtue lors
du mariage. Griselda demande cependant à pouvoir garder sa chemise, afin de ne pas exposer en
public ce corps qui a porté leurs enfants, en échange de la seule chose qu'elle avait apporté au
22 Des chemises à bretelles plus larges ou sans manches sont également présentes dans l'iconographie au XVe siècle.
23 Un article plus complet portant uniquement sur ce type de chemise devrait prochainement être publié par Marie de
Rasse, que je remercie pour ses informations.
24 Une autre source littéraire du XIVe, tirée du Roman de Lancelot, signale un homme qui négligea, une fois, de se
déshabiller pour se coucher. L'insistance sur l'aspect inhabituel de la chose est révélatrice.
25 Il en existe encore d'autres, de diverses régions d'Europe. Perrault lui même repris l'histoire de la bergère qui épousa
son seigneur au XVIIe siècle.
mariage, et que Gualtieri ne peut évidemment pas lui rendre : sa virginité. Ce qu'accepte Gualtieri.
La version de Chaucer s'avère particulièrement dramatique à ce moment. Gualtieri demande à
Griselda de garder la chemise qu'elle porte à ce moment précis, alors qu'elle même envisageait de se
vêtir d'une chemise « ordinaire ». On devine donc une chemise plus fine, et d'une matière bien plus
délicate que d'autres, qui ne conviendra guère au retour à la pauvreté. Ce détail n'apparaît pas chez
Boccace. En revanche, une partie du texte italien nous renvoie une fois de plus à l'infamie de
paraître en chemise :
« Tout ceux qui les entouraient le priaient de lui faire don d'une robe, pour qu'on ne vît pas celle
qui avait été sa femme, treize ans durant et davantage, sortir de chez lui aussi pauvrement, aussi
indignement que de la sorte : en chemise. Alors la dame, en chemise, les pieds nus et sans rien sur
la tête, les ayant recommandés à Dieu, sortit de chez Gautier et s'en retourna auprès de son père,
suivie des larmes et des plaintes de tout ceux qui la virent. »26
Et rentrée chez elle, elle reprit ses vêtements qu'elle avait quittés en se mariant, soigneusement
conservés par un père très optimiste qui se doutait du retour de sa fille un jour où l'autre... Chaucer
se distingue encore en signalant les difficultés qu'eut Griselda à revêtir sa vieille robe, rendue trop
étroite par deux grossesses, et plusieurs années de vie en tant que marquise. Une métaphore
évidente d'une condition sociale qui ne convient plus à une femme aussi vertueuse que Griselda.
Les histoires du Décaméron sont tantôt tristes, tantôt gaies, voire hilarantes pour certaines. Griselda
connaît un happy end. La nouvelle « épouse », venue de Bologne avec son jeune frère, n'est autre
que la fille du couple. Gualtieri a constaté l'obéissance et la patience de sa femme, qui retrouve non
seulement sa place, ses beaux vêtements, mais aussi et surtout ses enfants. Tout se termine donc
pour le mieux et ils vécurent heureux (mais n'eurent pas de nouveaux enfants).
Boccace n'en a cependant pas fini avec les métaphores vestimentaires, puisque la conclusion du
conte narré par Dionée est la suivante :
« Que peut-on dire ici, sinon qu'il pleut du ciel de divins esprits dans les pauvres maisons aussi,
tout comme dans les maisons royales il en pleut certains qui seraient plus dignes de garder les
pourceaux que d'avoir seigneurie sur les hommes. Qui donc, hormis Griselde, aurait pu souffrir,
non seulement sans une larme mais encore d'un air enjoué la rigueur des épreuves inouïes
auxquelles Gautier l'avait soumise ? Quant à lui, ce n'aurait peut-être pas été un mauvais sort que
de tomber sur une femme qui, une fois chassée en chemise du logis, se serait si bien fait trémousser
la toison par un autre qu'elle y aurait gagné une jolie robe. »27
Encadré 2 : La chemise/peau dans le Miroir des Bonnes Femmes.
Ecrit par un moine franciscain anonyme à la fin du XIIIe siècle, ce texte servit de base au Chevalier
de La Tour Landry pour son traité de morale, bien plus connu. Voici un passage qui ne semble pas
avoir été repris par le chevalier, et qui nous semble pertinent quant au rapport de la chemise et de la
peau. On comprend mieux, à cette lecture, l'intérêt d'une relique comme celle de la chemise de st
Louis. On voit également comment la chemise peut être synonyme de nudité, si la peau est elle
même une chemise. Il s'agit là du manuscrit conservé à Paris28, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 2156,
vers 1330, f105v-106r. Document et traduction aimablement communiqués par Sylvain Gallea.
De cez que ploroier Dieu
Li XXIX examples si est des bones dames qui ploroient et guermentoient nostre seigneur quant il
aloit morir pour nous. Ci preigne essample devoste fame et recorder en son cuer la passion nostre
seigneur Jhesus Christ, fame ne doit mie fère chierrete de ce de quoi ele a grant marchié c’est à
dire de lermes ce dit li poètes dévote dame doit fère ansi comme la gentile pucelle do quoi j’oï
conter qui apelée devant I cruel tyrant d’un grant cas à grant tort si qu’ele ne trova qui pour li se
combatist pour paour de le adversaire. Mes I juenes hon que son chemin passoit l’oï dire si en ot
26 Boccace, Le Décaméron, Dixième Journée, Dixième Nouvelle. Traduction de Giovanni Clerico, Gallimard, Paris,
2006, p. 890.
27 Ibid, pp. 894-895.
28 Un autre manuscrit se trouve à Dijon, Bibliothèque Municipale - ms 213, et est daté de 1406.
pitie et devint champion pour li et veinqui le champ. Mes il eu porta V plaies morteim et quant il
morroit, il menda que l’en portast à la damoisele sa chemise tote sanglante au V pertuis si la
regarda la damoisele et trop durement ploroit tote fois qu’ele la voit. Tot ansuis fist Jhesus Christ
pour l’umain nature, dom la chemise de sa char fu en V leus perciée et por ce la sainte ame i doit
souvent plorer, ou se ce non ele est plus dure que fer, car eles parjurent en la mort nostre seigneur.
Ici doivent dames penser et à ces dames aidier.29
Bibliographie sélective :
Geoffroy, Chevalier de la Tour Landry, Anatole de Montaiglon, Le Livre du Chevalier de la Tour Landry, pour
l'Enseignement de ses Filles, copie d'après les manuscrits de Paris et Londres, Paris, 1854. Texte original : 1371-
1373.
Carl Köhler, bearb. von Emma Sichart: Praktische Kostümkunde. (2 Bände), Bruckmann, München 1926. Edition
utilisée : A History of Costume, traduction de Alexander K. Dallas, Dover Publication, New York, 1963.
Collectif : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,
1, Paris 1989
Collectif : Le Corps et sa parure, Sismel, Florence, 2007, pp. 309-327
Laura F. Hodgestitle : Reading Griselda's Smocks in the Clerk's Tale, The Chaucer Review 44 no1 84-109 2009
Collectif : Medieval clothing and textiles, 7, Boydell Press, Woodbridge, Rochester, 2011.
Remerciements : Marie de Rasse, Sylvain Gallea, Yannick Jarosz, Jean Marc Rosier, Séverine
« Perline » Watiez.
29De celles qui pleurèrent Dieu.
L’exemple XXIX est celui des bonnes dames qui pleurèrent Notre Seigneur et se lamentèrent quand il mourrait pour
nous. Ici prenez exemple de ces dévotes femmes et souvenez-vous en votre coeur de la passion de Notre seigneur Jésus
Christ. Femme ne doit pas [conjecture : être avare de ce qu’elle a en abondance] c'est-à-dire de ses larmes dit le poète.
Dévote dame doit faire comme la gentille pucelle de laquelle j’ai entendu parler qui, appelée devant un cruel tyran
pour y être mise en accusation à tort, ne trouva personne pour combattre en son nom par crainte de l’adversaire. Mais
un jeune homme qui passait en entendit parler et, prenant pitié, devint son champion et vainquit sur le champ. Mais il
reçu ainsi cinq plaies mortelles et, à sa mort, demanda à ce que l’on porte sa chemise toute sanglante aux cinq entailles
pour que la demoiselle la contemple et pleure à chaque fois qu’elle la vit. Ainsi fit jésus Christ pour l’humanité, la
chemise de son corps fut en cinq endroit percée et pour cela la sainte femme doit souvent pleurer car sinon elle est plus
dure que fer, car elle renie la mort de Notre Seigneur. Ici doivent les femmes penser et ces femmes aider.
Tina Anderlini
Docteur en Histoire de l'Art
Le XIVe siècle apparaît comme une période charnière dans l'histoire du costume occidental.
Les bouleversements qu'il apporte touchent la longueur, la forme, la coupe, et transformeront à
jamais la conception de nos tenues, au grand dam des censeurs. La mode, phénomène épisodique
précédemment, prend de plus en plus d'importance, marquant des décennies, des zones
géographiques, des catégories. Plus on avancera dans le temps, plus les changements seront
fréquents. On pourra ainsi, dès la fin du XVe siècle, pratiquement dater par année les tenues des
élégantes vénitiennes.
La nouvelle mode. Cachez ces cuisses que nous ne saurions voir !
Jusqu'à présent, nous avons noté que les tenues médiévales masculines arrivaient au moins au
dessus du genou, voire en dessous depuis le XIIe siècle. Même dans le cas de tenues fendues, la
masse de tissu est suffisamment importante pour dissimuler autant que possible les cuisses. Il s'agit
de rester décent et digne. La norme en 1325 est mi-mollet, ou même plus bas.
Les choses changent radicalement durant le second quart du XIVe siècle. Influencés peut-être par
certaines tenues militaires, plus courtes et plus ajustées, certains élégants se mettent à porter dans le
civil des tenues serrées, fermées bien souvent par des boutons, autant sur le torse que sur les bras, et
ne cachant pratiquement rien des cuisses. Il serait faux d'imaginer le caractère universel de cette
tendance, qui paraît surtout concerner de jeunes hommes, peut-être les premières fashion-victims...
Elle n'est pas non plus spontanée : elle progresse en Europe, mais ne s'impose pas d'un seul coup.
Les longueurs « choquantes » varient selon les régions (on est à mi-cuisse dès le second quart du
siècle en Italie, bien plus tard en Pologne) et selon le type de vêtement : un pourpoint sera en
général plus court et plus ajusté, au début, qu'une tenue non matelassée.
Et, tout naturellement, cette exposition de cuisses, de fesses et de bosses, auxquelles répondent les
expositions de gorges féminines, ces tenues ajustées au torse et aux bras, pour les deux sexes, cette
éruption de boutons, réels ou factices, et là encore pour hommes comme pour femmes, furent la
cible des censeurs et moralisateurs...
« car, en yver, quant il fait grant froit, elles meurent de froit à leurs ventres et à leurs tetines, qui ont
plus grant mestier d'estre tenues chaudement que les talons, et en esté les puces s'y mucent, et pour
ce je ne prise riens la nouveauté ne telle cointise. »2 Finalement, les jeunes femmes sont aussi des
fashion-victims.
1 Geoffrey Chaucer (1343-1400), The Romaunt of the Rose, vers 1195-1196
Car à travers sa chemise, tissée de soie,
La chair était vue, aussi blanche que le lait.
Il s'agit là de la traduction/version anglaise qui aurait été faite par le célèbre poète du roman de Guillaume de Lorris,
datant du siècle précédent. Ce passage fait partie de la description de Largesse :
Que parmi outre la chemise /Li blanchoioit sa char alise. (vers 1173-1174)
2 Geoffroy, Chevalier de la Tour Landry, p. 49. Le chevalier fustige ici les robes à la mode, avec traîne et fourrées
à l'arrière, alors qu'elles sont amplement décolletées, ne protégeant pas la poitrine du froid ou des parasites. Le
chevalier ne manque pas non plus de critiquer les tenues courtes masculines.
Une tenue près du corps, cachant à peine les fesses, s'accorde difficilement avec l'amplitude et la
longueur d'une chemise XIIIe, comme celle de st Louis. Et que penser des décolletés des jeunes
femmes ? Nous allons donc forcément observer l'arrivée de nouveaux patrons.
Avant de nous intéresser à la chemise proprement dite, il serait intéressant d'analyser les enjeux des
nouvelles habitudes vestimentaires de nos dandys médiévaux. Même si ceci concerne les couches
supérieures, l'enseignement est d'importance, et nous pouvons ainsi mieux comprendre le costume
médiéval dans son ensemble.
Nous nous baserons principalement pour cela sur l'excellent article d'Odile Blanc : « Vêtement
féminin, vêtement masculin à la fin du Moyen Age. Le point de vue des moralistes »3 et sur celui de
Françoise Piponnier « Une Révolution dans le costume masculin au XIVe siècle »4.
La longueur, pour Françoise Piponnier, n'est pas le fait le plus marquant, dans un premier temps.
Une longueur au dessus du genou, considérée comme choquante pour la meilleure société, était
pourtant la norme avant le XIIe siècle. Néanmoins, le raccourcissement se fit plus important, et les
fesses furent mises en valeur. Les chausses également, et celles-ci se firent plus moulantes, et
luxueuses.
C'est bien le côté ajusté, nécessitant une toute nouvelle manière de couper le vêtement, aussi bien
masculin que féminin, qui est révolutionnaire. Et, pour faciliter cet ajustement, l'ouverture se fit sur
toute la longueur, et fut fermée par toute une série de boutons. La mode passa même sur les
vêtements longs, sans qu'il y ait nécessité. Le rembourrage, jusque là réservé aux costumes
militaires et aux sous-vêtements vint encore amplifier certaines parties du corps, donnant un
bombement très reconnaissable aux torses masculins.
Ce type de vêtement mettant les fesses en valeur fut rapidement désapprouvé. Les condamnations
apparaissent dès 1335 en Italie. Toute l'Europe occidentale jusqu'à la Pologne semble avoir connu
cette mode, sans que l'on sache avec certitude d'où elle vient. Une mode occidentale qui serait
réservées au départ, bien avant de toucher la bourgeoisie, aux classes guerrières5, et surtout... Aux
jeunes. Il semble là que nous soyons devant un phénomène très courant aujourd'hui. Mais
totalement inédit au Moyen Age ! La plus grande révolution ne se situerait-elle pas là ?
Que pouvait avoir de si choquant ce nouveau costume ? Odile Blanc souligne à juste titre une
différence essentielle entre la tenue masculine et la tenue féminine. Si les femmes se dévoilent
(contrairement aux hommes) par d'amples décolletés, si le torse et les bras sont mis en valeur par
une coupe plus ajustée et des boutons, la robe de la femme ne se raccourcit pas. Le bas du corps
reste totalement dissimulé. C'est d'ailleurs moins l'ajustement qui choque chez les femmes que le
dévoilement. Pour Gilles de Muisi, « le raccourcissement et l'ajustement du vêtement masculin (est)
impudique et déshonnête (inhonestum) »6, alors que le vêtement féminin est « non seulement
impudique mais lascif, incitant à la débauche. C'est dire que la révélation des formes, chez la
femme, a valeur de dénudation. Elle fait naître le désir (masculin) et représente par conséquent une
dangereuse tentation : un objet de péché. Le corps masculin, d'être ajusté au plus près – et aussi,
différence capitale, sujet du désir-, ne suscite que moqueries et réprimandes de se montrer ainsi au
naturel, sans pudeur : semblables aux bêtes.» 7. Cette bestialité est de nouveau évoquée par Odile
Blanc : « L'homme de mode, à la fin du Moyen-Age, n'est pas tant lubrique qu'obscène, et
l'impudeur avec laquelle il révèle les formes de son corps le rapproche de l'animal. C'est
essentiellement sur ce point que portent les critiques. (…)
L'exhibition de la partie basse de l'homme est en effet l'innovation majeure du pourpoint. C'est elle,
plus encore que l'ajustement au corps, qui rapproche l'homme de l'animal. Le vêtement ne remplit
plus en effet le rôle qui lui a été assigné après la chute, celui de cacher le sexe devenu coupable et
3 Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age, pp. 243-253.
4 Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age, pp. 225-242.
5 Mais pas au cercle royal. Françoise Piponnier précise que Charles VI serait le premier roi de France à avoir adopté
cette mode, un demi-siècle après son apparition. Une Révolution dans le costume masculin au XIVe siècle, p. 233.
6 Odile Blanc, Vêtement féminin, vêtement masculin à la fin du Moyen Age. Le point de vue des moralistes, p. 244.
7 Ibid.
par conséquent honteux » 8. Il semble qu'il vaut mieux y réfléchir à deux fois, avant de couper son
costume, surtout avant le XIVe. Longueur et amplitude ne sont pas à négliger. La totalité de l'article
d'Odile Blanc sur cette mode qui suscita énormément de condamnations et de moqueries9 mériterait
d'être repris ici, tant il montre bien l'importance du vêtement médiéval, de sa coupe, de sa longueur,
de ce qu'il montre et de ce qu'il cache. Mais, cela nous éloignerait trop de notre sujet de départ...
Reims, capitale de la chemise de luxe ? Ce que nous apprennent les comptes et inventaires.
La chemise reste juste évoquée dans les inventaires. Ce que l'on notait déjà au XIIIe siècle :
l'inventaire des tissus donnés par le roi d'Angleterre Henry III à sa soeur Isabelle lors de son mariage
avec l'empereur Frédéric II ne signalait alors que 90 aunes de lin pour les chemises de cinq dames
de la chambre royale. Peut-être les 187 aunes de lin de Reims, destinés à Isabelle, étaient-ils prévus
pour la confection des chemises de la future épouse, tout comme les 98 de lin de Liège10. Si 90
aunes devaient suffire à 5 dames, on en déduit que la future impératrice avait de quoi faire 10
chemises... Ou 20, si les dames avaient droit à 2 chemises chacune. Il est hélas impossible d'avoir
une idée précise de ce que cela représente en mètres, les mesures variant d'un lieu à l'autre. L'aune
est plus ou moins équivalente au mètre. On peut envisager entre 150 et 200m de lin. Une vraie
commande royale ! Il semble, d'après les comptes savoyards, que moins de 4 aunes étaient
nécessaires pour une chemise longue et des braies d'homme. Le trousseau d'Isabelle était-il prévu
pour faire une quarantaine de chemises, voire bien plus ? En 1387 la reine de France Isabeau de
Bavière commande 32 aunes pour un total de 16 chemises, à raison de 2 aunes par chemise11. Si
l'aune du XIIIe siècle est égale à celle du XIVe, la commande anglaise est impressionnante. Il est
plus rassurant de supposer une aune autre, un lé plus étroit, et des chemises bien plus amples !
On remarque que seule la provenance du lin destiné à Isabelle est mentionnée. Ce lin était considéré
comme le plus fin, d'une finesse comparable à la mousseline. Reims est un gage de qualité, comme
le souligne Nadège Gauffre-Fayolle dans son article sur les sous-vêtements médiévaux à partir des
comptes de la cour de Savoie. « La ville de Reims produit les toiles les plus appréciées par la cour
de Savoie, mais aussi par l'ensemble des cours européennes et par les princes d'Orient. En effet, les
toiles rémoises sont déjà achetées au tout début du XIVe siècle, et ne seront réellement
concurrencées par les toiles de Hollande, de Constance et de Troyes que dans le premier quart du
XVe siècle. Des toiles d'Allemagne, d'Epinal ou encore de Paris sont conservées dans la réserve du
comte ou du duc, mais les toiles de Reims et de Hollande sont les seules utilisées pour la réalisation
des robes linges. »12. Il semble que la production rémoise était déjà populaire parmi les cours
européenne dès le XIIIe siècle. D'ailleurs la cour d'Angleterre continua à se fournir à Reims du
temps d'Edward Ier. Seule la famille royale bénéficiait de cette toile luxueuse. Ce qui rejoint notre
remarque concernant Isabelle d'Angleterre. La reine de France se fournit aussi à Reims. Mais,
Reims ne produit pas le lin le plus remarquable. Les toiles de Constance et Troyes seraient
supérieures. Mais, leur clientèle est religieuse...13
Les comptes de Savoie nous apprennent d'autres choses concernant les étoffes destinées aux robes
linges (chemises et braies). Les provenances, en dehors de Reims, ne sont pas citées, ce qui
différencie le lin de la laine pour laquelle l'origine est régulièrement spécifiée14. Les couleurs non
plus. Mais, il faut préciser que le lin de couleur semble réservé aux doublures (dont sont dépourvus
8 Ibid. p. 247.
9 Les moqueries touchent également les coiffes féminines. Certains éléments qui nous paraissent si évocateurs du
Moyen-Age étaient en fait considérés par la majorité des gens comme ridicules.
10 Benjamin L. Wild, The Empress new clothes, in Medieval clothing and textiles, pp. 22-25.
11 Nadège Gauffre-Fayolle, Une Définition du sous-vêtement médiéval à partir de la comptabilité de la cour de
Savoie, in Le Corps et sa parure, pp. 309-327, p. 317. Recherche réalisée à partir de documents de 1300 à 1430.
L'étude sur Isabeau de Bavière provient de L. Douët d'Arcq, Comptes de l'hôtel des Rois de France aux XIVe et XVe
siècles, Paris, 1865, 153.
12 Ibid pp. 325-326. Recherche réalisée à partir de documents de 1300 à 1430.
13 Ibid, p. 326.
14 Même chose pour les comptes du roi d'Angleterre.
les sous-vêtements), à l'ameublement, ou aux caparaçons de chevaux.15 Comme le souligne Nadège
Gauffre-Fayolle, c'est le confort qui prime dans les descriptifs. Les toiles sont ainsi classées en cinq
catégories : « bonne, grosse, fine, prime et subtil auxquels s'ajoutent les caractéristiques neuve ou
crue (non blanchie). Seules les toiles primes et subtiles, dont les prix sont les plus élevés, servent à
réaliser des robes linges. »16
Enfin, les inventaires après décès bourguignons nous renseignent sur la manière dont sont désignées
les chemises : Chemise à homme, ou chemise à usage de femme17.
La chemise à homme.
Nous n'avons pas, pour homme, de pièce équivalente à la chemise de st Louis. Mais, nous avons
bien plus de représentations. La peinture italienne, à la suite de Giotto, devient plus réaliste, plus
détaillée, et nous pouvons ainsi observer diverses coupes lesquelles, précisons-le, ont souvent des
équivalents hors de la péninsule. Nous n'avons pas là de cas particuliers semblables aux chemises
espagnoles du XIIIe siècle.
Evidemment, ce sont encore les paysans qui nous fournissent le plus grand nombre de modèles.
Nous retrouvons ainsi des cols en V, déjà vus auparavant. Mais aussi, plus rare, une large encolure
ronde, sur le jeune st Martial. La variété des formes continue.
Les formes amples et relativement longues perdurent. Avec cependant ce qui semble être une
nouveauté : les fentes latérales. Si l'on peut supposer que cela est nécessité, pour les paysans, par un
vêtement plus étriqué (donc moins de tissu, donc moins cher), une fresque d'Agnolo Gaddi semble
indiquer que le phénomène est plus général, puisque c'est l'empereur Héraclius lui-même qui en est
revêtu. L'empereur byzantin est pieds nus et en chemise, en signe d'humilité, alors qu'il ramène la
Sainte Croix volée par Chrosoes à Jérusalem. Son vêtement abondamment plissé ne paraît pourtant
pas avoir besoin d'un fente. Mais peut-être ce petit confort supplémentaire est-il appréciable.
Héraclius nous fournit l'occasion de vérifier que la symbolique liée au port de la chemise est
toujours présente (voir aussi notre encadré sur la Griselda de Boccace). Héraclius est humble.
D'autres sont humiliés. On pense, bien évidemment, au célèbre épisode des Bourgeois de Calais,
devant présenter en 1347 les clefs de leur ville au roi Edward III en chemise, et qui ne devront la vie
qu'à l'intervention de Philippa de Hainaut, femme d'Edward, originaire de Valenciennes. C'est aussi
sur un captif, dans l'Allégorie du Bon Gouvernement d'Ambrogio Lorenzetti, que nous voyons ce
qu'il y a sous ce pourpoint qui a tant choqué, ou fait rire, c'est selon, les contemporains. Plusieurs
prisonniers sont amenés. L'un d'entre eux porte encore son pourpoint ajusté, mais peut-être s'agit-il
de sa tenue militaire. A ses côtés, de dos, un homme est lui vêtu d'une chemise courte. Moins
ajustée aux fesses que le pourpoint, elle est également munie de fentes latérales, qui là devaient être
une nécessité. Mais, si elles sont fréquentes, les fentes ne sont pas systématiques.
Les paysans ne semblent pas avoir suivi la mode du pourpoint très ajusté apprécié par les jeunes
gens à la mode, mais on constate sur certaines enluminures du Tacuinum Sanitatis que la chemise
courte paraît avoir eu plus de succès. Economie de tissu ? Tenue plus légère pour les travaux ? Ou
simplement fantaisie artistique ? Les différentes versions du Tacuinum montrent aussi que les règles
de pudeur et de bienséance ne s'effacent pas que pour les paysans. D'autres travailleurs nous
dévoilent totalement ou en partie leurs chemises, pour travailler plus confortablement. La chemise,
première tenue de travail ?
Nadège Gauffre-Fayolle signale encore l'existence de chemises à porter seules. Mais, précisons
immédiatement que cela se faisait en des contextes bien spécifiques. « Le mercier Edouard Tadelin
livre de quoi confectionner pour les trois enfants de Philippe d'Evreux et de Jeanne de Navarre des
chemises de toile doublées de soie, brodées de fils et agrémentées d'orfroi. Ils assisteront vêtus de
la sorte à la cérémonie des relevailles de leur mère. »18 Doublure et broderies ne figurent pas sur les
15 Nadège Gauffre-Fayolle, op. cit., p. 325.
16 Ibid.
17 Ibid, p. 316.
18 Ibid, p. 318.
chemises masculines ordinaires, même de la noblesse. Nous nous trouvons devant une tenue qu'on
peut presque considérer comme étant cérémonielle.
La chemise à usage de femme.
Il ne saura ici être question de raccourcissement, on s'en doute ! Tout au plus la Pauvreté montre ses
mollets (mais, parfois, sa chemise est faite d'un sac). Le changement se situe au niveau du col. Plus
ample, afin de ne pas dépasser de la cotte. Le scandale est cependant possible... Pour une ivrogne.
« Avant de quitter votre chambre et votre maison, vérifiez la collerette de votre chemise, de votre
camisole blanche, de votre tunique ou surcot : que l'une ne monte pas sur l'autre. Il existe des
femmes ivrognes, folles ou ignorantes qui ne font pas attention à leur honneur, ni à ce qui sied à
leur état et à celui de leur mari ; elles marchent (…) le col de leur chemise et de leur cotte l'un sur
l'autre (…). Et lorsqu'on leur fait une remarque, elles se disculpent en prétextant la hâte et la
modestie, prétendant être si pressées, si occupées et si altruistes qu'elles ne pensent pas à prendre
soin d'elles. Mais elles mentent (...) »19
Car c'est ainsi que l'auteur du Mesnagier de Paris considère, dans ses conseils à sa jeune épouse, les
femmes qui, entre autres tares impardonnables, montrent le col de leurs chemises. Espérons pour lui
qu'il ne vécût pas assez longtemps pour voir ce qu'il advint au siècle suivant !
Et si Largesse nous laissait voir sa chemise à travers son col ouvert, c'est parce que dans sa
générosité, elle avait donné son fermail. L'auteur du Mesnagier le lui aurait peut-être pardonné.
Apparaître en chemise est, comme pour les hommes, toujours humiliant. C'est en chemise qu'une
femme adultère devait se repentir à l'église. C'est en chemise que les femmes condamnées, comme
les hommes, sont exécutées.
Seules quelques catégories travaillent en chemise, pour les mêmes raisons que les hommes, le temps
d'accomplir leurs tâches.
Il semble également que les chemises plissées soient communes. Mais, en dehors de ces plis, qui
peuvent être très esthétiques, la chemise à usage de femme était-elle décorée ? On se souvient des
superbes exemples espagnols, peu appréciés par les censeurs du XIIIe siècle. L'iconographie ne
laisse rien paraître. C'est dans la littérature que nous trouvons une réponse.
« White was her smock ; its collar, front and back,
Embroidered with black silk inside and out »20
Ces vers de Chaucer laissent entendre que les Anglaises pouvaient broder le col de leur chemise, à
l'intérieur comme à l'extérieur. Mais, la jeune et jolie épouse du vieux charpentier, dans le Conte du
Meunier n'est pas, à proprement parler, un modèle de vertu... Aussi vaut-il peut-être mieux ne pas
généraliser.
Une trace archéologique effacée...
L'Italie nous avait fourni des modèles de chemises sans manches pour hommes dès le XIIe siècle.
Le XIVe siècle nous montre une version féminine de cet objet, avec une pièce archéologique.
Dans son histoire du costume, Carl Köhler21 propose la photographie d'une chemise du XIVe siècle,
découverte à Burg Ranis, en Thuringe. Malheureusement, on ne sait ce qu'est devenu cet objet
depuis 1926. Nous ne pouvons ainsi avoir d'idée de la matière précise, de sa construction exacte ou
de sa longueur... Ce modèle germanique diffère des italiens des siècles précédents. La comparaison
avec l'iconographie nous apprend qu'il s'agit d'une chemise de femme. Les bretelles sont
particulières. Si, comme c'était certainement le cas aussi en Italie, elles ne sont pas cousues au corps
de la chemise, mais coupées dans la continuité de celui-ci, ces bretelles s'avèrent bien plus fines, ce
19 Le Mesnagier de Paris, vers 1393. Edition consultée : texte édité par Georgina E. Brereton et Janet M. Ferrier,
traduction et notes par Karin Ueltschi, Le Livre de Poche, Paris, 1994, 2010, p. 43.
20 Blanche était sa chemise : son col, devant est derrière,/brodé de soie noir au dedans comme au dehors.
Geoffrey Chaucer, The Canterbury Tales, après 1397. Edition utilisée : Traduction en vers en anglais moderne par
David Wright, Oxford University Press, Oxford, 1985, réédition de 1990. p. 82. The Miller's Tale (le Conte du
Meunier)
21Carl Köhler, p. 177, fig. 209.
qui correspond encore aux modèles renvoyés par les sources iconographiques. En l'absence de la
pièce originale et de toute autre information complémentaire, on ne peut que supposer et se poser
des questions.
L'affinement flagrant des bretelles n'est peut-être pas que dû à une féminisation d'un modèle
masculin22. La mode XIVe, avec ses décolletés, peut expliquer la nécessité de rétrécir cette partie,
afin de la conserver cachée. La chemise de la photographie propose en effet une ample encolure
arrondie, qui paraît en adéquation avec certaines tenues du XIVe siècle.
Qui porte cette chemise ? Les élégantes à l'ample décolleté ? Certaines travailleuses, comme le
montrent de nombreuses sources ? Les femmes aux moeurs légères ? Les femmes, en général ?
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce type de vêtement lors de notre étude sur le XVe siècle23,
siècle où ces chemises sont encore plus documentées. Si nous ne disposons d'aucun autre
témoignage archéologique, il nous reste de nombreuses images, d'origines variées.
Au lit !
Au cours de nos précédentes études, nous avons quelquefois pu observer des personnages endormis
en chemise. Ou des personnages malades, recevant des visiteurs dans leur chambre, toujours en
chemise.
Etait-ce, pour les dormeurs, une convention de représentation, ou était-ce le reflet de la réalité ? En
ce cas, les habitudes auraient changé au XIVe siècle. Les sources iconographiques montrent que l'on
dort nu, que l'on soit homme ou femme, seul (e) ou non, parfois avec un bonnet. Mais Chaucer,
encore lui, évoque dans le Conte du Marchand un vieillard en chemise et bonnet de nuit pour une
nuit de noce bien décevante. L'âge peut expliquer cela24.
Encadré : L'histoire de Griselda. Sainte Patience et sainte Obéissance.
Griselda (Grisélidis, Grisildis, ou encore Griselde, selon les traductions) aurait réellement vécu au
XIe siècle. Son histoire se passe à Saluces, dans le Piémont. Gualtieri (Gautier, ou Walter dans la
version anglaise), marquis de la ville, sommé par son entourage d'enfin se marier, choisit d'épouser
Griselda, bergère, et fille d'un homme très pauvre. Il existe plusieurs versions de ce conte au XIVe
siècle. La première, qui servit de base aux autres, est de Boccace. Elle clôt son Décaméron (1349-
1353). Le récit original étant en Italien, le poète Pétrarque entreprit d'en faire une traduction en latin
dans De Obedientia et Fide uxoria . La troisième version la plus notable25 est de Chaucer. Elle
figure parmi les Contes de Canterbury (à partir de 1387), en tant que Conte du Clerc d'Oxford. Si
Pétrarque restait très proche du texte original, le poète anglais a considérablement enrichi le récit de
Boccace.
Les vêtements, surtout dans la version plus détaillée de Chaucer, jouent un rôle très symbolique
dans cette histoire. Habillages et déshabillages rythment les coups du sort infligés par le marquis à
sa belle bergère. De quoi est-il question ? Gualtieri veut « tout simplement » mettre à l'épreuve
l'obéissance et la patience de son épouse. Pour cela, il n'hésite pas à lui faire croire qu'il a fait tuer,
en bas âge, leurs deux enfants, puis, quelques années plus tard, à prétendre divorcer, grâce à une
fausse bulle du pape, laissant entendre qu'il va épouser une jeune femme, qui, elle, au moins, est de
noble ascendance. Chacun appréciera la noble délicatesse du marquis. Et Griselda n'a pas à se
plaindre. C'est ce moment du récit qui nous intéresse le plus, puisque Griselda est renvoyée chez
elle avec sa dot. Or, Gualtieri l'a prise sans rien. Nue. Vraiment. Puisqu'il l'a totalement vêtue lors
du mariage. Griselda demande cependant à pouvoir garder sa chemise, afin de ne pas exposer en
public ce corps qui a porté leurs enfants, en échange de la seule chose qu'elle avait apporté au
22 Des chemises à bretelles plus larges ou sans manches sont également présentes dans l'iconographie au XVe siècle.
23 Un article plus complet portant uniquement sur ce type de chemise devrait prochainement être publié par Marie de
Rasse, que je remercie pour ses informations.
24 Une autre source littéraire du XIVe, tirée du Roman de Lancelot, signale un homme qui négligea, une fois, de se
déshabiller pour se coucher. L'insistance sur l'aspect inhabituel de la chose est révélatrice.
25 Il en existe encore d'autres, de diverses régions d'Europe. Perrault lui même repris l'histoire de la bergère qui épousa
son seigneur au XVIIe siècle.
mariage, et que Gualtieri ne peut évidemment pas lui rendre : sa virginité. Ce qu'accepte Gualtieri.
La version de Chaucer s'avère particulièrement dramatique à ce moment. Gualtieri demande à
Griselda de garder la chemise qu'elle porte à ce moment précis, alors qu'elle même envisageait de se
vêtir d'une chemise « ordinaire ». On devine donc une chemise plus fine, et d'une matière bien plus
délicate que d'autres, qui ne conviendra guère au retour à la pauvreté. Ce détail n'apparaît pas chez
Boccace. En revanche, une partie du texte italien nous renvoie une fois de plus à l'infamie de
paraître en chemise :
« Tout ceux qui les entouraient le priaient de lui faire don d'une robe, pour qu'on ne vît pas celle
qui avait été sa femme, treize ans durant et davantage, sortir de chez lui aussi pauvrement, aussi
indignement que de la sorte : en chemise. Alors la dame, en chemise, les pieds nus et sans rien sur
la tête, les ayant recommandés à Dieu, sortit de chez Gautier et s'en retourna auprès de son père,
suivie des larmes et des plaintes de tout ceux qui la virent. »26
Et rentrée chez elle, elle reprit ses vêtements qu'elle avait quittés en se mariant, soigneusement
conservés par un père très optimiste qui se doutait du retour de sa fille un jour où l'autre... Chaucer
se distingue encore en signalant les difficultés qu'eut Griselda à revêtir sa vieille robe, rendue trop
étroite par deux grossesses, et plusieurs années de vie en tant que marquise. Une métaphore
évidente d'une condition sociale qui ne convient plus à une femme aussi vertueuse que Griselda.
Les histoires du Décaméron sont tantôt tristes, tantôt gaies, voire hilarantes pour certaines. Griselda
connaît un happy end. La nouvelle « épouse », venue de Bologne avec son jeune frère, n'est autre
que la fille du couple. Gualtieri a constaté l'obéissance et la patience de sa femme, qui retrouve non
seulement sa place, ses beaux vêtements, mais aussi et surtout ses enfants. Tout se termine donc
pour le mieux et ils vécurent heureux (mais n'eurent pas de nouveaux enfants).
Boccace n'en a cependant pas fini avec les métaphores vestimentaires, puisque la conclusion du
conte narré par Dionée est la suivante :
« Que peut-on dire ici, sinon qu'il pleut du ciel de divins esprits dans les pauvres maisons aussi,
tout comme dans les maisons royales il en pleut certains qui seraient plus dignes de garder les
pourceaux que d'avoir seigneurie sur les hommes. Qui donc, hormis Griselde, aurait pu souffrir,
non seulement sans une larme mais encore d'un air enjoué la rigueur des épreuves inouïes
auxquelles Gautier l'avait soumise ? Quant à lui, ce n'aurait peut-être pas été un mauvais sort que
de tomber sur une femme qui, une fois chassée en chemise du logis, se serait si bien fait trémousser
la toison par un autre qu'elle y aurait gagné une jolie robe. »27
Encadré 2 : La chemise/peau dans le Miroir des Bonnes Femmes.
Ecrit par un moine franciscain anonyme à la fin du XIIIe siècle, ce texte servit de base au Chevalier
de La Tour Landry pour son traité de morale, bien plus connu. Voici un passage qui ne semble pas
avoir été repris par le chevalier, et qui nous semble pertinent quant au rapport de la chemise et de la
peau. On comprend mieux, à cette lecture, l'intérêt d'une relique comme celle de la chemise de st
Louis. On voit également comment la chemise peut être synonyme de nudité, si la peau est elle
même une chemise. Il s'agit là du manuscrit conservé à Paris28, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 2156,
vers 1330, f105v-106r. Document et traduction aimablement communiqués par Sylvain Gallea.
De cez que ploroier Dieu
Li XXIX examples si est des bones dames qui ploroient et guermentoient nostre seigneur quant il
aloit morir pour nous. Ci preigne essample devoste fame et recorder en son cuer la passion nostre
seigneur Jhesus Christ, fame ne doit mie fère chierrete de ce de quoi ele a grant marchié c’est à
dire de lermes ce dit li poètes dévote dame doit fère ansi comme la gentile pucelle do quoi j’oï
conter qui apelée devant I cruel tyrant d’un grant cas à grant tort si qu’ele ne trova qui pour li se
combatist pour paour de le adversaire. Mes I juenes hon que son chemin passoit l’oï dire si en ot
26 Boccace, Le Décaméron, Dixième Journée, Dixième Nouvelle. Traduction de Giovanni Clerico, Gallimard, Paris,
2006, p. 890.
27 Ibid, pp. 894-895.
28 Un autre manuscrit se trouve à Dijon, Bibliothèque Municipale - ms 213, et est daté de 1406.
pitie et devint champion pour li et veinqui le champ. Mes il eu porta V plaies morteim et quant il
morroit, il menda que l’en portast à la damoisele sa chemise tote sanglante au V pertuis si la
regarda la damoisele et trop durement ploroit tote fois qu’ele la voit. Tot ansuis fist Jhesus Christ
pour l’umain nature, dom la chemise de sa char fu en V leus perciée et por ce la sainte ame i doit
souvent plorer, ou se ce non ele est plus dure que fer, car eles parjurent en la mort nostre seigneur.
Ici doivent dames penser et à ces dames aidier.29
Bibliographie sélective :
Geoffroy, Chevalier de la Tour Landry, Anatole de Montaiglon, Le Livre du Chevalier de la Tour Landry, pour
l'Enseignement de ses Filles, copie d'après les manuscrits de Paris et Londres, Paris, 1854. Texte original : 1371-
1373.
Carl Köhler, bearb. von Emma Sichart: Praktische Kostümkunde. (2 Bände), Bruckmann, München 1926. Edition
utilisée : A History of Costume, traduction de Alexander K. Dallas, Dover Publication, New York, 1963.
Collectif : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,
1, Paris 1989
Collectif : Le Corps et sa parure, Sismel, Florence, 2007, pp. 309-327
Laura F. Hodgestitle : Reading Griselda's Smocks in the Clerk's Tale, The Chaucer Review 44 no1 84-109 2009
Collectif : Medieval clothing and textiles, 7, Boydell Press, Woodbridge, Rochester, 2011.
Remerciements : Marie de Rasse, Sylvain Gallea, Yannick Jarosz, Jean Marc Rosier, Séverine
« Perline » Watiez.
29De celles qui pleurèrent Dieu.
L’exemple XXIX est celui des bonnes dames qui pleurèrent Notre Seigneur et se lamentèrent quand il mourrait pour
nous. Ici prenez exemple de ces dévotes femmes et souvenez-vous en votre coeur de la passion de Notre seigneur Jésus
Christ. Femme ne doit pas [conjecture : être avare de ce qu’elle a en abondance] c'est-à-dire de ses larmes dit le poète.
Dévote dame doit faire comme la gentille pucelle de laquelle j’ai entendu parler qui, appelée devant un cruel tyran
pour y être mise en accusation à tort, ne trouva personne pour combattre en son nom par crainte de l’adversaire. Mais
un jeune homme qui passait en entendit parler et, prenant pitié, devint son champion et vainquit sur le champ. Mais il
reçu ainsi cinq plaies mortelles et, à sa mort, demanda à ce que l’on porte sa chemise toute sanglante aux cinq entailles
pour que la demoiselle la contemple et pleure à chaque fois qu’elle la vit. Ainsi fit jésus Christ pour l’humanité, la
chemise de son corps fut en cinq endroit percée et pour cela la sainte femme doit souvent pleurer car sinon elle est plus
dure que fer, car elle renie la mort de Notre Seigneur. Ici doivent les femmes penser et ces femmes aider.
Re: La chemise au Bas Moyen-Age
La chemise au Moyen Age (dernière partie)
Le XVe siècle
Une chemise de soye blanche, barrée de soye rouge
et bordée de lettres d'or.
Une chemise longue de soye1.
Tina Anderlini
Docteur en Histoire de l'art,
Nous arrivons à présent au terme de notre étude sur la chemise médiévale. Nous avons
constaté dernièrement que la chemise se voit de plus en plus dans les oeuvres d'art. Certains cas,
comme nous l'avons souligné, relèvent toujours de la symbolique. Signalons simplement cette
analyse d'Odile Blanc, quant aux personnages en chemises durant la période qui nous concerne à
présent : L'auteure évoque dans un premier temps le perizonium porté par le Christ lors de la
Crucifixion :
« (Le perizonium) constitue le dernier rempart à la nudité. Et compte tenu de l'absence
quasi totale de nu dans les images de cette période, il peut valoir pour la nudité même, ainsi
métaphorisée par un vêtement minimal dont la fonction est de cacher le sexe du porteur, et dont la
blancheur tend à se confondre avec la chair dénudée.2 » Le voile dont la Vierge a ceint les reins du
Christ pour cacher sa honte est réservé à un seul personnage, le commun des mortels porte dans des
circonstances analogues, des vêtements plus conformes à l'époque des oeuvres : « (…) les
condamnés ou les accusés sont souvent représentés en braies ou en chemise, autrement dit en
vêtements de dessous, pour signifier combien leur faute les retranche du groupe de leurs
semblables. C'est dire combien, pour l'homme de la fin du Moyen Age, être dépouillé de ses
vêtements équivaut à une privation de l'être social. Les nudités médiévales sont toujours l'indice
d'une marginalisation, l'homme nu se rapprochant de l'animal et s'éloignant par conséquent du
monde civilisé.3 ».
D'autres cas de chemises visibles, en entier, ou partiellement, relevaient plus de l'aspect
pratique (bains, grossesse, allaitement). Après ces cas particuliers, valables aussi bien pour le XIVe
et le XVe siècle (voire pour tout le Moyen Age en ce qui concerne les condamnés et les
travailleurs), nous nous consacrerons, dans ce dernier article, aux généralités sur la chemise du XVe
siècle.
Les sous-vêtements de Jeanne d'Arc. La première moitié du siècle.
Evidemment, on ne peut ignorer le travail remarquable sur le costume des années 1430
effectué par Adrien Harmand4. Ses écrits sont toujours d'actualité, et montrent un sens de
l'observation exceptionnel. Aussi reprendrons-nous certaines de ses descriptions, qui, parfois, se
rapportent à tout le siècle :
« Proportionnée aux vêtements dont elle était recouverte, la chemise masculine resta d'une
certaine longueur jusque dans le premier tiers du quatorzième siècle. A partir de l'avènement des
Valois, elle suivit la tendance qu'eut alors le costume à s'écourter plus ou moins, et du temps de
Jeanne d'Arc, bien que le bas des robes courtes eut été, depuis un certain nombre d'ans, ramené à
la hauteur des genoux, la longueur des chemises n'en resta pas moins aussi réduite qu'elle l'avait
1 1422. Comptes royaux de Regnault Doriac, p 206, in Victor Gay, Glossaire archéologique, p. 360.
2 Odile Blanc, Parades et parures, p. 131.
3 Ibid.
4 Adrien Harmand, Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure : essai de reconstitution, Libraire E. Leroux, Paris,
1929, pp. 73-78.
été au cours du siècle précédent.
En général, elles s'arrêtaient à mi-cuisses. Quelques unes même cachaient à peine le bas du
ventre (…). Un tel raccourcissement se généralisa dans la suite avec les robes étriquées de la fin du
règne de Charles VII et de la majeure partie de celui de Louis XI.
(…) La chemise du temps de Jeanne d'Arc, au contraire, au lieu d'être coupée rectangulaire,
s'évasait progressivement de haut en bas, à l'instar des robes de l'époque. C'est ainsi que nous les
montrent la plupart des documents contemporains.5 »
Harmand indique l'existence de chemises froncées à l'encolure, mais celles-ci sont
relativement rares. Plus courante dans les vêtements ecclésiastiques, puisque nous avons un
exemple de chemise rochet du XIIIe siècle, conservée à Munich, et froncée aux épaules, l'habitude
de froncer les encolures se verra de plus en plus à la fin du XVe siècle, pour devenir une chose
fréquente à la Renaissance. La chemise de la fin du Moyen Age reste, majoritairement, non plissée
en haut :
« La plupart des chemises sont cependant dépourvues de fronces dans l'imagerie de
l'époque qui nous intéresse. Ces vêtements plaquent sur le dos, et les plis, occasionnés par la plus
grande largeur de leur partie inférieure, prennent naissance au niveau des omoplates pour
s'amplifier progressivement jusqu'en bas.(...) Quelquefois, les chemises sont fendues de côté de
façon à former deux pans invariablement d'égale longueur. Il semble que, dans certains cas, les
fentes de ces vêtements, au lieu d'être situées, comme pour nos chemises, dans le prolongement des
coutures latérales, aient été pratiquées un peu en avant, de manière à rétrécir le pan antérieur et à
élargir celui de derrière.
Les chemises non fendues et les chemises à fentes latérales coexistèrent avec une égale
vogue pendant toute la durée du quinzième siècle.6 »
Harmand ne manque pas de souligner l'absence de poignets aux manches des chemises. La
partie concernant la fermeture des robes-linges révèle une certaine variété de possibilités. La
majorité se ferme évidemment sur l'avant, par un bouton sphérique blanc, ou, parfois, «Un cordon
de fil7 ». L'existence de chemises à bouton est confirmée par Françoise Piponnier, qui en a trouvé
mention dans des inventaires bourguignons : « Bien qu'ils aient été dignes de figurer parmi les
biens à inventorier, certains des vêtements cités ne peuvent être considérés valablement comme des
éléments de parure. Ceux habituellement cachés à la vue semblent pouvoir être exclus d'emblée de
jeu, comme le linge de corps -chemises, braies, draps-linges et petits draps8 - et les vêtements de
dessous (…). Certaines précisions, données à titre exceptionnels, doivent pourtant inciter à la
prudence. Dévoilés discrètement, ou dans l'intimité, une chemise d'homme ornée de boutons de
perles ou les pelissons féminins bordés de rubans – vendus à cette fin par le mercier – trahissent
une recherche esthétique9 » On voit ainsi que la vision, même plus que partielle, de certains dessous
s'accompagne d'une certaine coquetterie privée.
La fermeture dans le dos, que l'on peut observer sur le célèbre tableau de Bouts, La Justice
de l'Empereur Othon, est aussi mentionnée. Evidemment, l'invisibilité de la chemise, une fois la
totalité du costume revêtu est notée. Pour Harmand, des cols10 pouvaient, rarement, être présents
avant 1430. Un peu plus présents, et coexistant avec les chemises sans cols, entre 1430 et 1450, ils
disparaîtraient ensuite dans le nord de l'Europe. Ce col « pouvait être relevé, doublant le collet droit
du gippon, et parfois le dépassant un peu, sinon tout autour, au moins par devant11 » Précisons
cependant que par la suite, une partie de la chemise pourra toujours se deviner sous l'encolure des
couches supérieures, comme en témoignent plusieurs portraits de la cour de Bourgogne.
5 Ibid, pp. 74-75
6 Ibid, pp. 75-76.
7 Ibid, p. 77. Il s'agirait d'un tableau attribué, en 1929, à Van der Weyden au musée de Besançon.
8 Petits-draps : braies.
9 Françoise Pipponier, Vêture et parure en Bourgogne à la fin du Moyen Age, in Le Corps et sa parure, pp. 262-263.
10 Il s'agit bien ici d'une pièce particulière du vêtement, semblable à nos cols actuels et nécessitant une découpe
particulière, et non de l'encolure proprement dite, qui désigne l'ouverture en général.
11 Harmand, pp. 77-78.
Harmand s'intéresse enfin aux fentes du bas. Après avoir déjà évoqué les fentes latérales, il
mentionne les fentes centrales, mais aussi, les chemises à quatre fentes (centrales et latérales), et
enfin un cas de chemise fendue uniquement sur l'arrière, cité par Victor Gay dans son Glossaire
archéologique, ouvrage de 1887, cette chemise étant celle de moissonneurs dans un manuscrit se
trouvant alors dans une collection privée. Nous sommes là devant un dessin réalisé à partir d'une
enluminure, et portant, de toute évidence, la marque de son auteur du dix-neuvième siècle. Ces
chemises n'étaient-elles réellement ouverte que sur l'arrière ? Une comparaison avec l'image
originale serait souhaitable.
De par son sujet, le costume de Jeanne d'Arc, l'ouvrage d'Harmand traite du costume
masculin. On constate que celui-ci est fort varié, quelles que soient les couches, visibles, ou
invisibles.
Le costume féminin, en revanche, traité sommairement par Harmand, est déjà plus simple,
ne serait-ce que parce qu'il ne connaît qu'une seule longueur. La forme d'ensemble de la robe de
femme sera étroite en haut, large en bas. Même la lourde houppelande au col carcaille suit ce
schéma. Les variations se feront au niveau des encolures, des superpositions, de la forme des
manches. La chemise est elle aussi de forme simple : en trapèze. Il n'y a ici ni fentes, et surtout ni
boutons, ni laçage, artifices bien inutile étant donné l'ampleur des encolures, à peine visibles sous la
robe.
La seconde moitié du siècle. La mode des crevées.
Episodiquement, selon certaines conditions, la chemise apparaît donc furtivement durant la
première moitié du XVe siècle. Vers 1440, selon les régions d'Europe, les visions des dessous sont
de plus en plus nombreuses. La mode italienne, particulièrement documentée grâce aux nombreux
artistes du Quattrocento, montre que la chemise va se dévoiler de plus en plus.
C'est évidemment aux extrémités que la chemise se révélera au départ, et c'est à l'encolure
qu'elle sera la plus visible. Dans un premier temps, le col blanc dépasse légèrement du col du
vêtement, principalement masculin. Apparaissant plissé, le col de la chemise était certainement très
ample, mais montant, permettant ainsi la mise en place de plis tout autour du cou, mettant en valeur
le visage et la robe, généralement ajustée. Les poignets seront eux aussi mis en valeur de la même
manière. Puis, progressivement, l'ouverture du cou pourra s'élargir, la chemise s'exposant alors sur
la poitrine. C'est toute la tenue qui se trouve modifiée : les encolures haut placé des robes
deviennent de plus en plus basses, de plus en plus amples chez certains élégants, les encolures
carrées deviennent en vogue, annonçant la mode de la première moitié du XVIe siècle. La variété
des formes des tenues masculines de la fin du Moyen Age fait de la chemise jusque là cachée le
complément indispensable à la mise en valeur des robes.
Il s'agit là d'une tendance européenne, qu'on observe aussi bien sur les sources
iconographiques flamandes, françaises, ou germaniques.
Les tenues féminines, en revanche, dévoilent bien plus la chemise en Italie qu'ailleurs en
Europe durant la seconde moitié du XVeme siècle, avec, néanmoins, des apparitions durant la
dernière décennie dans le reste de l'Europe occidentale.
Qu'elles soient masculines ou féminines, et selon les pays, les tenues s'ouvrent sur la
chemise en de nouveaux endroits. Les manches, qui semblent être le lieu de toutes les fantaisies
dans les costumes du XVeme siècle, sont l'endroit privilégié. Les poignets des robes sont même
lacés, et plus étroits que le bras, laissant voir la surface blanche, plus ou moins blousée. Le point de
jonction entre les manches et le corps des robes prend une importance considérable pour la mise en
valeur du vêtement intime. Les manches ne sont plus en une seule pièce, mais se nouent aux
épaules, et aux coudes. Les bras deviennent aussi blancs que colorés. La rigidité impliquée par
certaines matières et la mode des manches serrées peuvent expliquer la nécessité d'ouvertures
facilitant les mouvements. Ouvertures embellies par les plis de chemises d'une blancheur
immaculée et d'un tissu que l'on devine fin. Il semble bien que même le bas du dos du pourpoint
s'écartait...
Les encolures pouvant, pour les femmes, être recouvertes d'un voile s'élargissent. D'autres
encolures, plus hautes, et presque transparentes pourront se fermer par des lacets. Le laçage du
corsage s'écarte, s'ouvrant jusqu'au ventre. Les laçages des flancs s'affichent eux aussi. La robe
féminine laisse une grande place à la chemise. Nous avons évoqué les cols carrés masculins, mais
les ouvertures, profondes, en V montrent un sens de la décoration bien neuf. Ce sont parfois des
résilles de rubans d'or qui recouvrent, de manière bien lâche, une chemise exposée et nouent la robe.
La structure même de la robe, est, pour les deux sexes, prétexte à montrer ce qui était jusque là
caché. « L'emboîtement de ses ruptures successives est ici remarquable, et amène le regard, sans
ambiguïté, au vêtement le plus proche du corps, attestant ainsi de la présence de ce dernier12 »,
comme l'explique Odile Blanc en commentant une enluminure flamande.13 La chemise, rappelonsle,
est le dernier rempart du corps, et même la métaphore de celui-ci. Ce sont presque des bouts de
nudité qui s'échappent de ces costumes.
L'un des principaux moyens de mise en évidence de la chemise se trouve dans un nouveau
phénomène de mode : les crevées. Ces fentes du vêtement laissant entrevoir les couches inférieures
se trouvent dès la fin de la première moitié du XVeme siècle. Il ne s'agit plus ici d'élargir une
ouverture déjà existante, de lacer plutôt que de coudre, de rétrécir certaines surfaces, mais bien de
créer une multitude de fenêtres artificielles, indépendantes ou non des articulations. L'ouverture du
coude en est une première manifestation, justifiée par un point anatomique précis. Mais, les crevées
vont littéralement envahir les tenues, quel que soit le statut, pour arriver, à la Renaissance à des
tenues alternant savamment ouvertures et pleins. Lacées, boutonnées, ornées de pièces d'orfèvrerie,
ou simples coupures, la façon de présenter ces crevées est variée. En outre, les crevées ne se
cantonnent pas aux poitrines et aux manches. Les chausses, les chaussures, les gants même
multiplient les visions des couches inférieures, sous-vêtements, bijoux, ou simple couches de tissu.
Mais, il serait faux de croire qu'il s'agit là d'une affirmation du corps caché. La chemise, qui
se dévoile ne s'expose pas en totalité.
« Le vêtement Renaissance s'ingéniera, de la même manière, à laisser paraître la chemise.
Mais au lieu de conduire le regard en un point précis et mis en abîme, il le disperse au contraire à
la surface vestimentaire.14 »
A force d'être partout, elle finit par n'être nulle part ce qu'elle est en réalité.
Qu'en est-il de la forme de la chemise à la fin du siècle ? Nous continuons à trouver
quelques informations dans les oeuvres d'art. La chemise d'homme est bien raccourcie, et entrée
dans les braies, pour un personnage qui sait garder sa dignité. Elle peut être plissée, ou non. Il faut
cependant ajouter que la mode courte n'est pas l'unique possibilité pour les hommes. Vêtements
courts et longs cohabitent, selon l'âge, la dignité. La Décollation du Comte, de Bouts, montre bien
une chemise longue, portée par un personnage noble injustement exécuté. Pour les deux sexes, les
cols, encore une fois, sont de formes variées. Des encolures rondes, froncées, souvent d'origine
germanique, peuvent être agrémentées d'un biais. Lorsqu'elles sont visibles, elles peuvent être
décorées de galon de fil d'or, ou d'une broderie de fil noir. De même pour certains poignets
resserrés. La masse de toile dépassant des ouvertures des manches des robes italiennes signale des
manches larges, fait confirmé par les chemises séchant sur des perches près du pont Rialto, dans le
Miracle de la Croix, de Vittore Carpaccio.
Qu'est-ce qu'une chemise au Moyen Age ?
Nous avons souvent été confrontés à la difficulté de saisir ce que pouvait être exactement la
12 Odile Blanc, p. 187.
13 David Aubert, Chronique abrégée des empereurs, Flandres, vers 1460, Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 5089, f.
178.
14 Odile Blanc, p. 187.
chemise médiévale. Si on la voyait ou non. Quand la voyait-on ? Pourquoi ? Finalement, nous
avons pris, très tôt, le parti de considérer la chemise en tant que vêtement de corps, vêtement intime,
qui se cache (sauf à la fin du Moyen Age ou dans des circonstances précises, sur lesquelles nous
nous sommes attardés). Bref, il a fallu parfois donner une forme à un invisible, bien souvent
inconnu, surtout pour les premiers siècles.
L'étude de ce vêtement s'est révélée enrichissante, quant à la compréhension du costume du
Moyen Age en général. Le rapport avec le corps éclaire sur la mentalité médiévale. Les matières
utilisées (principalement des fibres végétales, blanchies, et non teintes) indiquent une sorte de
séparation des fibres, voire des tissages, selon l'usage. L'étude de la chemise de St Louis a montré
comment les coutures différaient selon leur position, et de la pression exercée, et aussi du lien entre
la forme du sous-vêtement et du vêtement qui le recouvre. Car, finalement, ce vêtement qui peut
sembler anodin s'avère être un grand révélateur. Nous avons encore vu qu'il pouvait y avoir d'autres
sous-vêtements intermédiaires dont on soupçonne à peine l'existence. Si le pelisson est documenté
par diverses sources, l'utilisation civile de l'auqueton fut une découverte, grâce à la pièce
archéologique exceptionnelle du couvent St François de Paris. Et le chainse, dans tout cela ?
Pourtant, parfois, les textes pourraient laisser penser que la chemise pouvait être décorée,
pouvait être de soie de couleur... Les choses semblent alors se compliquer. Heureusement, le
Glossaire archéologique de Victor Gay lève toute ambiguïté :
« L'emploi du mot prête à des confusions que l'étude seule des textes anciens permet
d'éclaircir. Ceux que nous avons rassemblés dans un ordre purement chronologique font de la
chemise, tantôt un objet de lingerie analogue à celui du costume moderne, plus ou moins apparent
ou orné suivant la mode ; tantôt une tunique de soie, de drap ou d'autre étoffe, se rapprochant de la
chainse (…), et tout à fait distincte de notre premier vêtement. Les broderies y sont assez rares, au
XIIIe siècle, mais du XIVe au XVIe, elles deviennent fréquentes, surtout à partir du règne de Louis
XII. Les chemises de femmes, plus longues que celles des hommes, étaient, au XIIe et XIIIe siècles,
souvent ridées (plissées) et garnies de fils d'or et de soie au col et aux manches.15 »
Les pages des inventaires et comptes s'éclairent. Les chemises de soies bordées d'or
n'appartenaient certainement pas à la catégorie des linges de corps. Il y a donc bien chemise et
chemise... Un même mot pouvait désigner deux pièces de vêtements différentes.
Remerciements : Gaelle Bernard, Gabriel Cadieux, Marie-Chantal Cadieux, Laurette Esteve, Marie
de Rasse, Stéphane Van de Capelle.
Bibliographie sélective concernant ce dernier article :
Victor Gay, Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance, Société Bibliographique, Paris,
1887.
Adrien Harmand, Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure : essai de reconstitution, Libraire E. Leroux,
Paris, 1929
Françoise Pipponier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen-Âge, Adam Biro, Paris, 1975. Edition consultée :
édition anglaise : Dress in the Middle Ages,Yale University Press, New Haven Londres, 1997 pour édition
originale, 2007 pour édition consultée.
Collectif : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du
Léopard d'Or ,1, Paris 1989
Odile Blanc, Parades et Parures, L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Age, Gallimard, Paris,
1997
Collectif : Le Corps et sa parure, Sismel, Florence, 2007
Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, Getty Publications, Los Angeles, 2011.
Bibliographie sélective pour l'ensemble de l'étude sur la chemise :
15 Victor Gay, Glossaire archéologique, p. 359.
Geoffroy, Chevalier de la Tour Landry, Anatole de Montaiglon, Le Livre du Chevalier de la Tour Landry, pour
l'Enseignement de ses Filles, copie d'après les manuscrits de Paris et Londres, Paris, 1854. Texte original : 1371-
1373.
Anonyme, Le Mesnagier de Paris, texte édité par Georgina E. Brereton et Janet M. Perrier, traduction et notes par
Karin Ueltschi, Librairie Générale Française, Paris, 1994, réédition 2010. Texte original : vers 1393.
Louis Claude Douët d'Arcq, Comptes de l'Hôtel des Rois de France aux XIVe et XVe siècles, Société de
l'Histoire de France, Paris, 1865.
Victor Gay, Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance, Société Bibliographique, Paris, 1887.
Yves Delaporte, Le Voile de Notre Dame, Maison des Clercs, Chartres, 1927.
Adrien Harmand, Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure : essai de reconstitution, Libraire E. Leroux, Paris,
1929
Carl Köhler, bearb. von Emma Sichart: Praktische Kostümkunde. (2 Bände), Bruckmann, München 1926. Edition
utilisée : A History of Costume, traduction de Alexander K. Dallas, Dover Publication, New York, 1963.
C. Willet et Phillis Cunnington, The History of Underclothes, éd. Originale : Michael Joseph Ltd, Londres, 1951,
réédition : Dover Publication, New York, 1992.
Dorothy Burnham, Cut my cote, Royal Ontario Museum, Toronto, 1973.
Françoise Pipponier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen-Âge, Adam Biro, Paris, 1975. Edition consultée :
édition anglaise : Dress in the Middle Ages,Yale University Press, New Haven Londres, 1997 pour édition
originale, 2007 pour édition consultée.
Stella Marie Newton, Fashion in the Age of the Black Prince, a study of the years 1340-1365, Boydel Press,
Woodbridge, Rochester, édition originale : 1980, édition consultée : 2002
Gonzalo Menendez Pidal, La España del Siglo XIII, Leida en imagenes, Real Academia de la Historia, Madrid,
1986.
Gale Owen-Crocker, Dress in Anglo-Saxon England, Edition originale : Manchester University Press,
Manchester, 1986. Edition utilisée : The Boydell Press, Woodbridge, 2004
Mechthild Müller, Die Kleidung Nach Quellen Des Fruhen Mittelalters: Textilien Und Mode Von Karl Dem
Grossen Bis Heinrich III, Walter de Gruyter & Co, Berlin-New York, 2002
Else Østergård, Woven into earth; Aarhus, Oxford, Oakville, Aarhus University Press, éd. Originale : 2004.
édition utilisée : 2009
Collectif, sous la direction de Michel Pastoureau : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique
vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,1, Paris 1989
Elisabeth Crowfoot, Frances Pritchard, Kay Staniland, Textiles and Clothing 1150-1450, The Boydell Press,
Woodbridge, Rochester, éd. Originale : 1992, édition utilisée : 2006
Divers auteurs, Vestiduras pontificales del Arzobispo Rodrigo Ximénez de Rada. Siglo XIII. Su estudio y
restauracion, Ministerio de cultura, Madrid, 1994.
Odile Blanc, Parades et Parures, L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Age, Gallimard, Paris, 1997
Collectif, sous la direction de E. Jane Burns : Medieval fabrications, dress, textiles, cloth work, and other cultural
imaginings, Palgrave Macmillan, New York, Basingstoke, 2004
Anne-Hélène Allirot, Isabelle de France, soeur de saint Louis : la vierge savante, une étude de la Vie d'Isabelle
de France écrite par Agnès Harcourt. In Médiévales 48, Printemps 2005, Princes et Princesses au Moyen Age, pp.
55-98. Edition numérisée : http://medievales.revues.org/1050
Sophie Desrosiers, Dessous Royaux du XIIIème siècle, in Histoire et Images Médiévales n° 6 ("thématique" le
costume et la mode), aout-oct 2006 p-72-78.
Elena Rozoumniak, Le vêtement et la coiffure dans les romans français des XIIIème et XIVème siècles : étude de
lexicologie, de critique littéraire et d'histoire des sensibilités médiévales, thèse de doctorat, Etudes médiévales,
soutenue à Paris IV le 9 décembre 2006. Edition numérisée.
Penelope Walton-Rogers, Cloth and Clothing in Early Anglo-Saxon England, Council of British Archaeology,
York, 2007
Collectif, sous la direction de Jean Wirth : in Micrologus XV, Le Corps et sa parure, Sismel, Edizioni del
Galluzzo, Florence, 2007
Laura F. Hodgestitle : Reading Griselda's Smocks in the Clerk's Tale, The Chaucer Review 44 no1 84-109 2009
Chica Mantilla de los Ríos : Los inicios de la conservación y la restauración de textiles en España, in
Conservacion de tejidos procedentes de contextos funerarios, Museo de América, Madrid, 2010, pp. 55-63.
Rapport d'inventaire de Notre-Dame de Paris, Référencement d'Elisabeth Pauly, septembre 2010, Inv. NDP
n°296
Collectif, sous la direction de Gale Owen-Crocker et Robin Netherton : Medieval clothing and textiles, 7,
Boydell Press, Woodbridge, Rochester, 2011.
L'Orient des Femmes vu par Christian Lacroix, Exposition du Musée du Quai Branly, Actes Sud, Paris, 2011
Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, Getty Publications, Los Angeles, 2011.
Lexique, seconde partie (encadré) :
Aube : Vêtement blanc à usage liturgique.
Auqueton ou hauqueton : Vêtement rembourré de coton, à usage militaire ou civil (il est alors un
sous-vêtement, porté sur la chemise).
Camisa a Cuerda : chemise à lacet, portée en Espagne au XIIIe siècle.
Camisa Margomada. : chemise brodée, portée en Espagne au XIIIe siècle.
Col carcaille : col montant, visible sur les houppelandes, par exemple.
Crevées : fentes pratiquées dans le vêtement, laissant voir les couches inférieures.
Dalmatique : Vêtement liturgique en forme de croix.
Gippon : sorte de pourpoint ajusté, fait d'étoffes repliées ou rembourrées.
Perizonium : voile placé sur les reins du Christ par la Vierge lors de la Passion.
Pelisson : sous-vêtement de fourrure, porté sur la chemise.
Petits-draps : braies
Rochet : surplis à manches étroites porté par les ecclésiastiques.
Le XVe siècle
Une chemise de soye blanche, barrée de soye rouge
et bordée de lettres d'or.
Une chemise longue de soye1.
Tina Anderlini
Docteur en Histoire de l'art,
Nous arrivons à présent au terme de notre étude sur la chemise médiévale. Nous avons
constaté dernièrement que la chemise se voit de plus en plus dans les oeuvres d'art. Certains cas,
comme nous l'avons souligné, relèvent toujours de la symbolique. Signalons simplement cette
analyse d'Odile Blanc, quant aux personnages en chemises durant la période qui nous concerne à
présent : L'auteure évoque dans un premier temps le perizonium porté par le Christ lors de la
Crucifixion :
« (Le perizonium) constitue le dernier rempart à la nudité. Et compte tenu de l'absence
quasi totale de nu dans les images de cette période, il peut valoir pour la nudité même, ainsi
métaphorisée par un vêtement minimal dont la fonction est de cacher le sexe du porteur, et dont la
blancheur tend à se confondre avec la chair dénudée.2 » Le voile dont la Vierge a ceint les reins du
Christ pour cacher sa honte est réservé à un seul personnage, le commun des mortels porte dans des
circonstances analogues, des vêtements plus conformes à l'époque des oeuvres : « (…) les
condamnés ou les accusés sont souvent représentés en braies ou en chemise, autrement dit en
vêtements de dessous, pour signifier combien leur faute les retranche du groupe de leurs
semblables. C'est dire combien, pour l'homme de la fin du Moyen Age, être dépouillé de ses
vêtements équivaut à une privation de l'être social. Les nudités médiévales sont toujours l'indice
d'une marginalisation, l'homme nu se rapprochant de l'animal et s'éloignant par conséquent du
monde civilisé.3 ».
D'autres cas de chemises visibles, en entier, ou partiellement, relevaient plus de l'aspect
pratique (bains, grossesse, allaitement). Après ces cas particuliers, valables aussi bien pour le XIVe
et le XVe siècle (voire pour tout le Moyen Age en ce qui concerne les condamnés et les
travailleurs), nous nous consacrerons, dans ce dernier article, aux généralités sur la chemise du XVe
siècle.
Les sous-vêtements de Jeanne d'Arc. La première moitié du siècle.
Evidemment, on ne peut ignorer le travail remarquable sur le costume des années 1430
effectué par Adrien Harmand4. Ses écrits sont toujours d'actualité, et montrent un sens de
l'observation exceptionnel. Aussi reprendrons-nous certaines de ses descriptions, qui, parfois, se
rapportent à tout le siècle :
« Proportionnée aux vêtements dont elle était recouverte, la chemise masculine resta d'une
certaine longueur jusque dans le premier tiers du quatorzième siècle. A partir de l'avènement des
Valois, elle suivit la tendance qu'eut alors le costume à s'écourter plus ou moins, et du temps de
Jeanne d'Arc, bien que le bas des robes courtes eut été, depuis un certain nombre d'ans, ramené à
la hauteur des genoux, la longueur des chemises n'en resta pas moins aussi réduite qu'elle l'avait
1 1422. Comptes royaux de Regnault Doriac, p 206, in Victor Gay, Glossaire archéologique, p. 360.
2 Odile Blanc, Parades et parures, p. 131.
3 Ibid.
4 Adrien Harmand, Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure : essai de reconstitution, Libraire E. Leroux, Paris,
1929, pp. 73-78.
été au cours du siècle précédent.
En général, elles s'arrêtaient à mi-cuisses. Quelques unes même cachaient à peine le bas du
ventre (…). Un tel raccourcissement se généralisa dans la suite avec les robes étriquées de la fin du
règne de Charles VII et de la majeure partie de celui de Louis XI.
(…) La chemise du temps de Jeanne d'Arc, au contraire, au lieu d'être coupée rectangulaire,
s'évasait progressivement de haut en bas, à l'instar des robes de l'époque. C'est ainsi que nous les
montrent la plupart des documents contemporains.5 »
Harmand indique l'existence de chemises froncées à l'encolure, mais celles-ci sont
relativement rares. Plus courante dans les vêtements ecclésiastiques, puisque nous avons un
exemple de chemise rochet du XIIIe siècle, conservée à Munich, et froncée aux épaules, l'habitude
de froncer les encolures se verra de plus en plus à la fin du XVe siècle, pour devenir une chose
fréquente à la Renaissance. La chemise de la fin du Moyen Age reste, majoritairement, non plissée
en haut :
« La plupart des chemises sont cependant dépourvues de fronces dans l'imagerie de
l'époque qui nous intéresse. Ces vêtements plaquent sur le dos, et les plis, occasionnés par la plus
grande largeur de leur partie inférieure, prennent naissance au niveau des omoplates pour
s'amplifier progressivement jusqu'en bas.(...) Quelquefois, les chemises sont fendues de côté de
façon à former deux pans invariablement d'égale longueur. Il semble que, dans certains cas, les
fentes de ces vêtements, au lieu d'être situées, comme pour nos chemises, dans le prolongement des
coutures latérales, aient été pratiquées un peu en avant, de manière à rétrécir le pan antérieur et à
élargir celui de derrière.
Les chemises non fendues et les chemises à fentes latérales coexistèrent avec une égale
vogue pendant toute la durée du quinzième siècle.6 »
Harmand ne manque pas de souligner l'absence de poignets aux manches des chemises. La
partie concernant la fermeture des robes-linges révèle une certaine variété de possibilités. La
majorité se ferme évidemment sur l'avant, par un bouton sphérique blanc, ou, parfois, «Un cordon
de fil7 ». L'existence de chemises à bouton est confirmée par Françoise Piponnier, qui en a trouvé
mention dans des inventaires bourguignons : « Bien qu'ils aient été dignes de figurer parmi les
biens à inventorier, certains des vêtements cités ne peuvent être considérés valablement comme des
éléments de parure. Ceux habituellement cachés à la vue semblent pouvoir être exclus d'emblée de
jeu, comme le linge de corps -chemises, braies, draps-linges et petits draps8 - et les vêtements de
dessous (…). Certaines précisions, données à titre exceptionnels, doivent pourtant inciter à la
prudence. Dévoilés discrètement, ou dans l'intimité, une chemise d'homme ornée de boutons de
perles ou les pelissons féminins bordés de rubans – vendus à cette fin par le mercier – trahissent
une recherche esthétique9 » On voit ainsi que la vision, même plus que partielle, de certains dessous
s'accompagne d'une certaine coquetterie privée.
La fermeture dans le dos, que l'on peut observer sur le célèbre tableau de Bouts, La Justice
de l'Empereur Othon, est aussi mentionnée. Evidemment, l'invisibilité de la chemise, une fois la
totalité du costume revêtu est notée. Pour Harmand, des cols10 pouvaient, rarement, être présents
avant 1430. Un peu plus présents, et coexistant avec les chemises sans cols, entre 1430 et 1450, ils
disparaîtraient ensuite dans le nord de l'Europe. Ce col « pouvait être relevé, doublant le collet droit
du gippon, et parfois le dépassant un peu, sinon tout autour, au moins par devant11 » Précisons
cependant que par la suite, une partie de la chemise pourra toujours se deviner sous l'encolure des
couches supérieures, comme en témoignent plusieurs portraits de la cour de Bourgogne.
5 Ibid, pp. 74-75
6 Ibid, pp. 75-76.
7 Ibid, p. 77. Il s'agirait d'un tableau attribué, en 1929, à Van der Weyden au musée de Besançon.
8 Petits-draps : braies.
9 Françoise Pipponier, Vêture et parure en Bourgogne à la fin du Moyen Age, in Le Corps et sa parure, pp. 262-263.
10 Il s'agit bien ici d'une pièce particulière du vêtement, semblable à nos cols actuels et nécessitant une découpe
particulière, et non de l'encolure proprement dite, qui désigne l'ouverture en général.
11 Harmand, pp. 77-78.
Harmand s'intéresse enfin aux fentes du bas. Après avoir déjà évoqué les fentes latérales, il
mentionne les fentes centrales, mais aussi, les chemises à quatre fentes (centrales et latérales), et
enfin un cas de chemise fendue uniquement sur l'arrière, cité par Victor Gay dans son Glossaire
archéologique, ouvrage de 1887, cette chemise étant celle de moissonneurs dans un manuscrit se
trouvant alors dans une collection privée. Nous sommes là devant un dessin réalisé à partir d'une
enluminure, et portant, de toute évidence, la marque de son auteur du dix-neuvième siècle. Ces
chemises n'étaient-elles réellement ouverte que sur l'arrière ? Une comparaison avec l'image
originale serait souhaitable.
De par son sujet, le costume de Jeanne d'Arc, l'ouvrage d'Harmand traite du costume
masculin. On constate que celui-ci est fort varié, quelles que soient les couches, visibles, ou
invisibles.
Le costume féminin, en revanche, traité sommairement par Harmand, est déjà plus simple,
ne serait-ce que parce qu'il ne connaît qu'une seule longueur. La forme d'ensemble de la robe de
femme sera étroite en haut, large en bas. Même la lourde houppelande au col carcaille suit ce
schéma. Les variations se feront au niveau des encolures, des superpositions, de la forme des
manches. La chemise est elle aussi de forme simple : en trapèze. Il n'y a ici ni fentes, et surtout ni
boutons, ni laçage, artifices bien inutile étant donné l'ampleur des encolures, à peine visibles sous la
robe.
La seconde moitié du siècle. La mode des crevées.
Episodiquement, selon certaines conditions, la chemise apparaît donc furtivement durant la
première moitié du XVe siècle. Vers 1440, selon les régions d'Europe, les visions des dessous sont
de plus en plus nombreuses. La mode italienne, particulièrement documentée grâce aux nombreux
artistes du Quattrocento, montre que la chemise va se dévoiler de plus en plus.
C'est évidemment aux extrémités que la chemise se révélera au départ, et c'est à l'encolure
qu'elle sera la plus visible. Dans un premier temps, le col blanc dépasse légèrement du col du
vêtement, principalement masculin. Apparaissant plissé, le col de la chemise était certainement très
ample, mais montant, permettant ainsi la mise en place de plis tout autour du cou, mettant en valeur
le visage et la robe, généralement ajustée. Les poignets seront eux aussi mis en valeur de la même
manière. Puis, progressivement, l'ouverture du cou pourra s'élargir, la chemise s'exposant alors sur
la poitrine. C'est toute la tenue qui se trouve modifiée : les encolures haut placé des robes
deviennent de plus en plus basses, de plus en plus amples chez certains élégants, les encolures
carrées deviennent en vogue, annonçant la mode de la première moitié du XVIe siècle. La variété
des formes des tenues masculines de la fin du Moyen Age fait de la chemise jusque là cachée le
complément indispensable à la mise en valeur des robes.
Il s'agit là d'une tendance européenne, qu'on observe aussi bien sur les sources
iconographiques flamandes, françaises, ou germaniques.
Les tenues féminines, en revanche, dévoilent bien plus la chemise en Italie qu'ailleurs en
Europe durant la seconde moitié du XVeme siècle, avec, néanmoins, des apparitions durant la
dernière décennie dans le reste de l'Europe occidentale.
Qu'elles soient masculines ou féminines, et selon les pays, les tenues s'ouvrent sur la
chemise en de nouveaux endroits. Les manches, qui semblent être le lieu de toutes les fantaisies
dans les costumes du XVeme siècle, sont l'endroit privilégié. Les poignets des robes sont même
lacés, et plus étroits que le bras, laissant voir la surface blanche, plus ou moins blousée. Le point de
jonction entre les manches et le corps des robes prend une importance considérable pour la mise en
valeur du vêtement intime. Les manches ne sont plus en une seule pièce, mais se nouent aux
épaules, et aux coudes. Les bras deviennent aussi blancs que colorés. La rigidité impliquée par
certaines matières et la mode des manches serrées peuvent expliquer la nécessité d'ouvertures
facilitant les mouvements. Ouvertures embellies par les plis de chemises d'une blancheur
immaculée et d'un tissu que l'on devine fin. Il semble bien que même le bas du dos du pourpoint
s'écartait...
Les encolures pouvant, pour les femmes, être recouvertes d'un voile s'élargissent. D'autres
encolures, plus hautes, et presque transparentes pourront se fermer par des lacets. Le laçage du
corsage s'écarte, s'ouvrant jusqu'au ventre. Les laçages des flancs s'affichent eux aussi. La robe
féminine laisse une grande place à la chemise. Nous avons évoqué les cols carrés masculins, mais
les ouvertures, profondes, en V montrent un sens de la décoration bien neuf. Ce sont parfois des
résilles de rubans d'or qui recouvrent, de manière bien lâche, une chemise exposée et nouent la robe.
La structure même de la robe, est, pour les deux sexes, prétexte à montrer ce qui était jusque là
caché. « L'emboîtement de ses ruptures successives est ici remarquable, et amène le regard, sans
ambiguïté, au vêtement le plus proche du corps, attestant ainsi de la présence de ce dernier12 »,
comme l'explique Odile Blanc en commentant une enluminure flamande.13 La chemise, rappelonsle,
est le dernier rempart du corps, et même la métaphore de celui-ci. Ce sont presque des bouts de
nudité qui s'échappent de ces costumes.
L'un des principaux moyens de mise en évidence de la chemise se trouve dans un nouveau
phénomène de mode : les crevées. Ces fentes du vêtement laissant entrevoir les couches inférieures
se trouvent dès la fin de la première moitié du XVeme siècle. Il ne s'agit plus ici d'élargir une
ouverture déjà existante, de lacer plutôt que de coudre, de rétrécir certaines surfaces, mais bien de
créer une multitude de fenêtres artificielles, indépendantes ou non des articulations. L'ouverture du
coude en est une première manifestation, justifiée par un point anatomique précis. Mais, les crevées
vont littéralement envahir les tenues, quel que soit le statut, pour arriver, à la Renaissance à des
tenues alternant savamment ouvertures et pleins. Lacées, boutonnées, ornées de pièces d'orfèvrerie,
ou simples coupures, la façon de présenter ces crevées est variée. En outre, les crevées ne se
cantonnent pas aux poitrines et aux manches. Les chausses, les chaussures, les gants même
multiplient les visions des couches inférieures, sous-vêtements, bijoux, ou simple couches de tissu.
Mais, il serait faux de croire qu'il s'agit là d'une affirmation du corps caché. La chemise, qui
se dévoile ne s'expose pas en totalité.
« Le vêtement Renaissance s'ingéniera, de la même manière, à laisser paraître la chemise.
Mais au lieu de conduire le regard en un point précis et mis en abîme, il le disperse au contraire à
la surface vestimentaire.14 »
A force d'être partout, elle finit par n'être nulle part ce qu'elle est en réalité.
Qu'en est-il de la forme de la chemise à la fin du siècle ? Nous continuons à trouver
quelques informations dans les oeuvres d'art. La chemise d'homme est bien raccourcie, et entrée
dans les braies, pour un personnage qui sait garder sa dignité. Elle peut être plissée, ou non. Il faut
cependant ajouter que la mode courte n'est pas l'unique possibilité pour les hommes. Vêtements
courts et longs cohabitent, selon l'âge, la dignité. La Décollation du Comte, de Bouts, montre bien
une chemise longue, portée par un personnage noble injustement exécuté. Pour les deux sexes, les
cols, encore une fois, sont de formes variées. Des encolures rondes, froncées, souvent d'origine
germanique, peuvent être agrémentées d'un biais. Lorsqu'elles sont visibles, elles peuvent être
décorées de galon de fil d'or, ou d'une broderie de fil noir. De même pour certains poignets
resserrés. La masse de toile dépassant des ouvertures des manches des robes italiennes signale des
manches larges, fait confirmé par les chemises séchant sur des perches près du pont Rialto, dans le
Miracle de la Croix, de Vittore Carpaccio.
Qu'est-ce qu'une chemise au Moyen Age ?
Nous avons souvent été confrontés à la difficulté de saisir ce que pouvait être exactement la
12 Odile Blanc, p. 187.
13 David Aubert, Chronique abrégée des empereurs, Flandres, vers 1460, Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 5089, f.
178.
14 Odile Blanc, p. 187.
chemise médiévale. Si on la voyait ou non. Quand la voyait-on ? Pourquoi ? Finalement, nous
avons pris, très tôt, le parti de considérer la chemise en tant que vêtement de corps, vêtement intime,
qui se cache (sauf à la fin du Moyen Age ou dans des circonstances précises, sur lesquelles nous
nous sommes attardés). Bref, il a fallu parfois donner une forme à un invisible, bien souvent
inconnu, surtout pour les premiers siècles.
L'étude de ce vêtement s'est révélée enrichissante, quant à la compréhension du costume du
Moyen Age en général. Le rapport avec le corps éclaire sur la mentalité médiévale. Les matières
utilisées (principalement des fibres végétales, blanchies, et non teintes) indiquent une sorte de
séparation des fibres, voire des tissages, selon l'usage. L'étude de la chemise de St Louis a montré
comment les coutures différaient selon leur position, et de la pression exercée, et aussi du lien entre
la forme du sous-vêtement et du vêtement qui le recouvre. Car, finalement, ce vêtement qui peut
sembler anodin s'avère être un grand révélateur. Nous avons encore vu qu'il pouvait y avoir d'autres
sous-vêtements intermédiaires dont on soupçonne à peine l'existence. Si le pelisson est documenté
par diverses sources, l'utilisation civile de l'auqueton fut une découverte, grâce à la pièce
archéologique exceptionnelle du couvent St François de Paris. Et le chainse, dans tout cela ?
Pourtant, parfois, les textes pourraient laisser penser que la chemise pouvait être décorée,
pouvait être de soie de couleur... Les choses semblent alors se compliquer. Heureusement, le
Glossaire archéologique de Victor Gay lève toute ambiguïté :
« L'emploi du mot prête à des confusions que l'étude seule des textes anciens permet
d'éclaircir. Ceux que nous avons rassemblés dans un ordre purement chronologique font de la
chemise, tantôt un objet de lingerie analogue à celui du costume moderne, plus ou moins apparent
ou orné suivant la mode ; tantôt une tunique de soie, de drap ou d'autre étoffe, se rapprochant de la
chainse (…), et tout à fait distincte de notre premier vêtement. Les broderies y sont assez rares, au
XIIIe siècle, mais du XIVe au XVIe, elles deviennent fréquentes, surtout à partir du règne de Louis
XII. Les chemises de femmes, plus longues que celles des hommes, étaient, au XIIe et XIIIe siècles,
souvent ridées (plissées) et garnies de fils d'or et de soie au col et aux manches.15 »
Les pages des inventaires et comptes s'éclairent. Les chemises de soies bordées d'or
n'appartenaient certainement pas à la catégorie des linges de corps. Il y a donc bien chemise et
chemise... Un même mot pouvait désigner deux pièces de vêtements différentes.
Remerciements : Gaelle Bernard, Gabriel Cadieux, Marie-Chantal Cadieux, Laurette Esteve, Marie
de Rasse, Stéphane Van de Capelle.
Bibliographie sélective concernant ce dernier article :
Victor Gay, Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance, Société Bibliographique, Paris,
1887.
Adrien Harmand, Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure : essai de reconstitution, Libraire E. Leroux,
Paris, 1929
Françoise Pipponier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen-Âge, Adam Biro, Paris, 1975. Edition consultée :
édition anglaise : Dress in the Middle Ages,Yale University Press, New Haven Londres, 1997 pour édition
originale, 2007 pour édition consultée.
Collectif : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du
Léopard d'Or ,1, Paris 1989
Odile Blanc, Parades et Parures, L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Age, Gallimard, Paris,
1997
Collectif : Le Corps et sa parure, Sismel, Florence, 2007
Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, Getty Publications, Los Angeles, 2011.
Bibliographie sélective pour l'ensemble de l'étude sur la chemise :
15 Victor Gay, Glossaire archéologique, p. 359.
Geoffroy, Chevalier de la Tour Landry, Anatole de Montaiglon, Le Livre du Chevalier de la Tour Landry, pour
l'Enseignement de ses Filles, copie d'après les manuscrits de Paris et Londres, Paris, 1854. Texte original : 1371-
1373.
Anonyme, Le Mesnagier de Paris, texte édité par Georgina E. Brereton et Janet M. Perrier, traduction et notes par
Karin Ueltschi, Librairie Générale Française, Paris, 1994, réédition 2010. Texte original : vers 1393.
Louis Claude Douët d'Arcq, Comptes de l'Hôtel des Rois de France aux XIVe et XVe siècles, Société de
l'Histoire de France, Paris, 1865.
Victor Gay, Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance, Société Bibliographique, Paris, 1887.
Yves Delaporte, Le Voile de Notre Dame, Maison des Clercs, Chartres, 1927.
Adrien Harmand, Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure : essai de reconstitution, Libraire E. Leroux, Paris,
1929
Carl Köhler, bearb. von Emma Sichart: Praktische Kostümkunde. (2 Bände), Bruckmann, München 1926. Edition
utilisée : A History of Costume, traduction de Alexander K. Dallas, Dover Publication, New York, 1963.
C. Willet et Phillis Cunnington, The History of Underclothes, éd. Originale : Michael Joseph Ltd, Londres, 1951,
réédition : Dover Publication, New York, 1992.
Dorothy Burnham, Cut my cote, Royal Ontario Museum, Toronto, 1973.
Françoise Pipponier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen-Âge, Adam Biro, Paris, 1975. Edition consultée :
édition anglaise : Dress in the Middle Ages,Yale University Press, New Haven Londres, 1997 pour édition
originale, 2007 pour édition consultée.
Stella Marie Newton, Fashion in the Age of the Black Prince, a study of the years 1340-1365, Boydel Press,
Woodbridge, Rochester, édition originale : 1980, édition consultée : 2002
Gonzalo Menendez Pidal, La España del Siglo XIII, Leida en imagenes, Real Academia de la Historia, Madrid,
1986.
Gale Owen-Crocker, Dress in Anglo-Saxon England, Edition originale : Manchester University Press,
Manchester, 1986. Edition utilisée : The Boydell Press, Woodbridge, 2004
Mechthild Müller, Die Kleidung Nach Quellen Des Fruhen Mittelalters: Textilien Und Mode Von Karl Dem
Grossen Bis Heinrich III, Walter de Gruyter & Co, Berlin-New York, 2002
Else Østergård, Woven into earth; Aarhus, Oxford, Oakville, Aarhus University Press, éd. Originale : 2004.
édition utilisée : 2009
Collectif, sous la direction de Michel Pastoureau : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique
vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,1, Paris 1989
Elisabeth Crowfoot, Frances Pritchard, Kay Staniland, Textiles and Clothing 1150-1450, The Boydell Press,
Woodbridge, Rochester, éd. Originale : 1992, édition utilisée : 2006
Divers auteurs, Vestiduras pontificales del Arzobispo Rodrigo Ximénez de Rada. Siglo XIII. Su estudio y
restauracion, Ministerio de cultura, Madrid, 1994.
Odile Blanc, Parades et Parures, L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Age, Gallimard, Paris, 1997
Collectif, sous la direction de E. Jane Burns : Medieval fabrications, dress, textiles, cloth work, and other cultural
imaginings, Palgrave Macmillan, New York, Basingstoke, 2004
Anne-Hélène Allirot, Isabelle de France, soeur de saint Louis : la vierge savante, une étude de la Vie d'Isabelle
de France écrite par Agnès Harcourt. In Médiévales 48, Printemps 2005, Princes et Princesses au Moyen Age, pp.
55-98. Edition numérisée : http://medievales.revues.org/1050
Sophie Desrosiers, Dessous Royaux du XIIIème siècle, in Histoire et Images Médiévales n° 6 ("thématique" le
costume et la mode), aout-oct 2006 p-72-78.
Elena Rozoumniak, Le vêtement et la coiffure dans les romans français des XIIIème et XIVème siècles : étude de
lexicologie, de critique littéraire et d'histoire des sensibilités médiévales, thèse de doctorat, Etudes médiévales,
soutenue à Paris IV le 9 décembre 2006. Edition numérisée.
Penelope Walton-Rogers, Cloth and Clothing in Early Anglo-Saxon England, Council of British Archaeology,
York, 2007
Collectif, sous la direction de Jean Wirth : in Micrologus XV, Le Corps et sa parure, Sismel, Edizioni del
Galluzzo, Florence, 2007
Laura F. Hodgestitle : Reading Griselda's Smocks in the Clerk's Tale, The Chaucer Review 44 no1 84-109 2009
Chica Mantilla de los Ríos : Los inicios de la conservación y la restauración de textiles en España, in
Conservacion de tejidos procedentes de contextos funerarios, Museo de América, Madrid, 2010, pp. 55-63.
Rapport d'inventaire de Notre-Dame de Paris, Référencement d'Elisabeth Pauly, septembre 2010, Inv. NDP
n°296
Collectif, sous la direction de Gale Owen-Crocker et Robin Netherton : Medieval clothing and textiles, 7,
Boydell Press, Woodbridge, Rochester, 2011.
L'Orient des Femmes vu par Christian Lacroix, Exposition du Musée du Quai Branly, Actes Sud, Paris, 2011
Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, Getty Publications, Los Angeles, 2011.
Lexique, seconde partie (encadré) :
Aube : Vêtement blanc à usage liturgique.
Auqueton ou hauqueton : Vêtement rembourré de coton, à usage militaire ou civil (il est alors un
sous-vêtement, porté sur la chemise).
Camisa a Cuerda : chemise à lacet, portée en Espagne au XIIIe siècle.
Camisa Margomada. : chemise brodée, portée en Espagne au XIIIe siècle.
Col carcaille : col montant, visible sur les houppelandes, par exemple.
Crevées : fentes pratiquées dans le vêtement, laissant voir les couches inférieures.
Dalmatique : Vêtement liturgique en forme de croix.
Gippon : sorte de pourpoint ajusté, fait d'étoffes repliées ou rembourrées.
Perizonium : voile placé sur les reins du Christ par la Vierge lors de la Passion.
Pelisson : sous-vêtement de fourrure, porté sur la chemise.
Petits-draps : braies
Rochet : surplis à manches étroites porté par les ecclésiastiques.
Qui est en ligne ?
Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invités